Serge Nunez-Tolin, L’ardent silence & Nœud noué pour personne

Serge Nunez-Tolin : une aussi longue attente

Le Bruxel­lois Serge Nunez-Tolin pour­suit en France chez Rou­ge­rie l’œuvre enta­mée en Bel­gique au Cor­mier sous l’influence de Roberto Juar­roz et Munoz. En consé­quence, l’auteur reven­dique une « ver­ti­ca­lité » de l’écriture. Mais l’ascension prend chez lui un sens par­ti­cu­lier qui n’a rien de mys­tique et encore moins de reli­gieux. Le poète oriente son écri­ture vers le silence par­ti­cu­lier : celui qui selon Michel Camus « parle encore le silence ».
Nunez-Tolin le nomme pour sa part « fer­tile » ou « réa­lité ferme » car il conduit au réel selon une « ardore » plus exis­ten­tielle qu’évanescente car faite d’ici et de main­te­nant. Ce silence est par­lant dans la mesure où il sert à se mettre en un état d’attente, de récep­ti­vité pour entendre les autres et s’orienter dans le monde. Il devient sur le plan de l’écriture ce qui, rap­pelle le poète, « manœuvre dans ma langue » afin de pro­vo­quer « comme l’évidement du je pour ne lais­ser de lui que ce qui y manque. » et ouvrir à la pos­si­bi­lité d’« atteindre l’ignorance qui nous devance ». Ce silence par­ti­cu­lier et à l’œuvre dans l’œuvre per­met donc de se débar­ras­ser de la tyran­nie du logos comme de la rai­son qui fait du « je » (via le cogito de Des­cartes) un jus­ti­fi­ca­tif et le bras armé de toutes les vio­lences. L’auteur opte pour un autre « je », déta­ché de l’ego et en consé­quence propre à opé­rer ce que le poète nomme le « tutoie­ment » : celui de la vie et de la réalité.

Pour le poète belge, effa­cer le « je armé » c’est rem­pla­cer son logos non par une absence mais par une poé­sie ves­pé­rale (mais sans visée trans­cen­dante). Elle fait de l’auteur un veilleur. Celui-ci cultive une attente très par­ti­cu­lière : sans but, sans objet sinon « la mise en dis­po­ni­bi­lité de soi à ce qui pour­rait arri­ver et que l’on ignore ». Il existe dans cette « immo­bi­lité active » le para­doxe d’une poé­sie en marche per­pé­tuelle vers le livre à venir capable de « Dire dans le silence : la pen­sée n’éclaire rien, ni même, ce rien qu’elle laisse devant elle ».
Tou­te­fois, l’attente ques­tion­nante per­met « l’acquiescement au monde » au détri­ment d’une spé­cu­la­tion d’ordre spi­ri­tuel. Il n’y a donc pour le Bruxel­lois de sens qui s’il y a l’abrupt de la ques­tion face auquel le silence s’élève et qu’il faut inter­ro­ger sans cesse afin de savoir en « cette chambre d’où nous ne sommes jamais sor­tis (…) ce que nous y sommes et comme nous en sommes ».
La poé­sie devient donc l’expression de la limite de la pen­sée et le point de levier qui conduit vers son ailleurs en plon­geant dans les trous du silence.

jean-paul gavard-perret

Serge Nunez-Tolin,
L’ardent silence, Rou­ge­rie, 2014.
– Nœud noué pour per­sonne,
Rou­ge­rie, 2014.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Serge Nunez-Tolin, L’ardent silence & Nœud noué pour personne

  1. Núñez Tolin, Serge

    Cher Jean-Paul Gavard-Perret,

    C’est un ami qui, cet après-midi, m’indique votre article. Je découvre ainsi Lelitteraire.com. Je vous remer­cie énor­mé­ment pour votre lec­ture : fine, pro­fonde et proche, jusqu’à l’intime du texte. Grand sou­tien pour un auteur !

    Je me per­mets dans la fou­lée de vous signa­ler la sor­tie ce mois de février de “Fou dans ma hâte” chez Rou­ge­rie éditeur.

    Bien à vous, Serge Núñez Tolin (03.04.2015)

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