Julia Bracher, Ecrire le désir

Quand Eve lève le voile

Sur l’échelle de la repré­sen­ta­tion lit­té­raire, il existe un hia­tus énorme dans l’évocation du désir sui­vant qu’il est écrit par les femmes ou les hommes. De Sap­pho aux Saintes, de Simone de Beau­voir à Pau­line Réage, l’historienne Julia Bra­cher exhibe une série de textes par­fois pra­ti­que­ment incon­nus où s’érige l’histoire (et la cen­sure) de la sen­sua­lité et de la volupté vues par des « conteuses, phi­lo­sophes, illustres mys­tiques, mys­té­rieuses incon­nues, aris­to­crates ou cour­ti­sanes, liber­tines et poé­tesses ». Confis­qué par la société au titre de sa sur­vi­vance, éco­no­mique et sociale, le corps trop sou­vent rendu muet est sou­dain par­leur dans l’hier comme aujourd’hui. Il n’est plus ques­tion de cou­ler du verre autour de lui pour en faire un défunt momi­fié.
Tout com­mença pour l’auteure par la découverte,par la lec­ture, à 15 ans  de la « Vénus ero­tica » d’Anaïs Nin. Chez elle, comme elle écrit dans son Jour­nal de l’amour, « On dirait que lorsque je par­viens à intro­duire en lui ma puis­sance de vision, comme un phal­lus impé­tueux, lorsque je la fais vibrer en lui », l’expression du désir prend une dimen­sion que le mâle a tou­jours voulu cen­su­rer. Parce que la société a été faite et repré­sen­tée par lui et pour lui, le plai­sir fémi­nin a été confis­qué ou détourné sou­vent au pro­fit du béné­fice (voire d’une cer­taine « impuis­sance ») de la gent mas­cu­line. Il a donc fallu du temps pour que les bar­reaux de l’échelle morale et « mâligne » se cassent les uns après les autres.

Cette « antho­lo­gie » réajuste le tir. Elle prouve que du côté du les­bia­nisme comme de l’hétérosexualité, de la por­no­gra­phie comme de l’amour « pla­to­nisé », les femmes ont tou­jours eu leur mot à dire. Face aux impos­tures du pou­voir mas­cu­lin, Julia Bra­cher exa­mine l’ « ob-scène » de l’obscène fémi­nin. Sur­git l’écriture du désir au-delà de la dis­tri­bu­tion ances­trale des rôles. Celui-là “gonfle” le corps fémi­nin si bien que l’opposition clas­sique homme/femme est effa­cée.
L’historienne rap­pelle que le mâle n’est pas mâle par état de nature et que les femmes ne sont pas seule­ment femmes à tra­vers l’image qu’on attend. L’auteure reprend le flam­beau de celles qui ont tenté de per­tur­ber et de refu­ser un ordre qui ren­voie à l’idée d’une nature Eve-angélique, douce, fra­gile, faible. Tous les textes réin­ventent une iden­tité sus­cep­tible de mettre à mal l’ordre patriar­cal et ses sté­réo­types de puis­sance.
Eclate une uto­pie dont on déplore encore trop sou­vent encore l’absence et qu’il convient de décou­vrir ou de rap­pe­ler face à l’inconscient machi­nique. Il traîne encore dans la lit­té­ra­ture mas­cu­line. Et par­fois féminine.

 jean-paul gavard-perret

Julia Bra­cher, Ecrire le désir, Edi­tions Omni­bus, Paris, 2014, 248 p. — 39,00 €.

Leave a Comment

Filed under En d'autres temps / En marge, Erotisme, Essais / Documents / Biographies

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>