Pierre Bordage & Olivier Roman, Les Fables de l’Humpur — tome 2 : “Muryd”

Une magni­fique parabole !

Bien qu’on ait quelques exemples récents sous les yeux, la ques­tion de la régres­sion de l’Homme suite à une rup­ture de la civi­li­sa­tion est un sujet qui inter­pelle nombre d’auteurs. Un huma­niste comme Pierre Bor­dage ne pou­vait pas ne pas abor­der ce thème d’une façon brillante.

Tia la Hurle et Vehir le Grogne ont fui leur clan res­pec­tif et sont en route pour le Grand Centre là où, selon la légende, se trouvent les dieux humains. Seuls ceux-ci pour­ront les aider à chan­ger le monde, tel qu’il est devenu, et leur per­mettre de vivre selon leur gré. Ils voyagent sur la Dorgne, sur un radeau mené par Ronge. Tia est pour­sui­vie par les sbires de Seur H’Will qui veut en faire sa troi­sième épouse, situa­tion qu’elle refuse. Ils doivent faire face aux dénon­cia­tions, à l’incompréhension. En effet, les Hurles dévorent les Grognes. Leur asso­cia­tion, leur union paraissent contre-nature. Pour tra­ver­ser le royaume d’Ophü, ils doivent inté­grer une cara­vane qui leur per­met­tra de mini­mi­ser les dan­gers, mais ils sont tra­his par Ronge. Mille périls, tant phy­siques que moraux, les guettent…

Ce second tome s’inscrit essen­tiel­le­ment comme un road-movie endia­blé pour les deux héros. L’action est omni­pré­sente et rythme les pages de l’album. Cepen­dant, Pierre Bor­dage, à tra­vers les péri­pé­ties, fait pas­ser nombre de mes­sages. Il exprime déjà la régres­sion de l’Homme vers la bes­tia­lité, fai­sant des uns les vic­times consen­tantes des autres avec un fond de fata­lisme. C’est la proie qui ne sait que fuir face à son pré­da­teur. Il réins­taure, pour ces restes d’homme, une loi qui veut que l’herbivore soit dévoré par le car­nas­sier. Il réin­tro­duit une hié­rar­chie basée sur la néces­sité de satis­faire le besoin irré­pres­sible de man­ger. En para­doxe, il montre com­ment la force d’habitudes impo­sées par la crainte peut condi­tion­ner une société. Aujourd’hui notre chaîne ali­men­taire est construite avec des êtres que l’on ima­gine dépour­vus de conscience. Dans la société conçue par Pierre Bor­dage, la conscience est totale pour tous, mais anni­hi­lée par des usages, par la force d’usages.
L’auteur illustre, éga­le­ment, de dif­fé­rentes manières, les dif­fi­cul­tés de vaincre les pré­ju­gés, de ten­ter de se rap­pro­cher des autres.

Le des­sin d’Olivier Roman est remar­quable. Marier des traits humains avec ceux d’animaux repré­sente déjà un chal­lenge. Les ani­mer et leur faire expri­mer sen­ti­ments et émo­tions en est un autre. Mais le créa­teur ne se contente pas de réus­sir ce pari. Il fait évo­luer sa gale­rie de pro­ta­go­nistes dans de superbes décors, uti­li­sant toutes les pos­si­bi­li­tés de la pers­pec­tive pour don­ner des images d’une grande beauté dans une mise en page attrayante. Tout ce tra­vail est rehaussé de belle manière par la mise en cou­leurs de Sté­phane Richard, aidé de Florent Daniel.
Avec Muryd, le second tome des Fables de l’Humpur, la série s’installe dans un haut niveau de qualité.

serge per­raud

Pierre Bor­dage (scé­na­rio), Oli­vier Roman (des­sin), Sté­phane Richard et Florent Daniel (cou­leurs), Les Fables de l’Humpur, tome 2 : “Muryd”, Soleil, coll. “Cherche Futurs”, sep­tembre 2014, 48 p. – 13,95 €.

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