Pour Klara Ianova, peindre est une façon de s’adresser à l’envers du monde, à ses parties cachées, à ce que l’on n’ose pas dire ou montrer. Chez l’artiste, pas de lyrisme : des femmes d’allure banale mais décidée imposent un arrêt, un vertige. D’une manière frontale s’instruit une confrontation où la féminité, dans son humilité ou sa colère, ne perd jamais de sa superbe loin des effusions sentimentales.
Un tel « échange » — voire défi — précipite dans un gouffre de pensées, un sentiment d’inquiétude qui parfois tourne au rire (jaune). Les égéries de Klara Ianova offrent le plus superbe démenti à toutes les oies blanches, et à la Vierge Folle de Rimbaud, la plaignante vivant au dépend de l’amour du mâle et qui avoue : « J’étais sûre de ne jamais entrer en son monde(…) Que d’heures des nuits j’ai veillé en cherchant pourquoi il voulait tant s’évader de la réalité ».
Klara Ianova comme ses doubles ont mieux à accomplir que faire le lit de tels hommes. Le temps de la naïveté se termine. La femme n’est plus ersatz, porte-manteaux, transparence, hypothèse plus ou moins vague. Elle devient seul sujet du visible dans la solitude où l’artiste la saisit. Celle qui est seule est seuil. Elle s’érige présente de toutes choses. Klara Ianova rappelle comment la femme passe de l’exil au devenir.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Mon chat, qui réclame son beurre.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’ai eu enfin mon chat. Ma mère ne supportait pas les animaux. Pourtant, tous les chats abandonnés de mon quartier étaient emmenés périodiquement chez moi, pour essayer que je leur donne à manger…
A quoi avez-vous renoncé ?
À la vie paisible et ordinaire.
D’où venez-vous ?
Je suis née au Tadjikistan, en Asie centrale, de parents d’origine russe, refugiés dans ce bout du monde en 1938, l’époque des grandes purges en Union Soviétique. Une très grande partie de ma vie, je l’ai passée à Saint Pétersbourg. Cette ville a formé mon esprit.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’intuition, digne de mon signe zodiacal.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Toute ma vie a été construite pour pouvoir poursuivre mon travail.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Je ne me pose jamais cette question. La vie est la source d’un énorme plaisir pour moi.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Franchement, je ne sais pas. Je pense que chaque artiste, comme chaque personne est unique.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Deux choses: le tapis oriental que ma mère a considéré comme son bien le plus précieux, au vu de sa beauté unique. Je passais des heures à le regarder en imaginant le royaume d’un chah venant des contes de Shéhérazade. Il était bien vivant pour moi, ce tapis. Un jour, je suis tombé sur un livre des dessins de Rubens. J’avais 11 ans. Je les ai tous « copiés », dans mon cahier d’écolier à simples carreaux.
Et votre première lecture ?
J’ai découvert le vrai plaisir de lire très tôt. Je lisais de tout, et tout le temps. En U.R.S.S, c’était une mode. Tout le monde lisait .Premier amour de Tourgueniev bien que ce n’était pas mon premier livre,’était celui qui m’avait frappé l’esprit.
Comment pourriez-vous définir votre travail sur le corps de la femme ?
J’essaye de décortiquer l’invisible à travers les formes en employant les moyens plastiques que je possède.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Je suis assez nulle en musique. J’écoute « France Musique » , musique classique, j’adore l’opéra. En revanche, je préfère travailler en silence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je pense que Le docteur Jivago de Boris Pasternak m’apportera d’autres niveaux de lecture. En tout cas, je le ressens comme ça.
Quel film vous fait pleurer ?
Les films documentaires sur la seconde guerre mondiale ne me laissent jamais indifférente. Je commence par renifler et je termine en sanglotant.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Des fois, la personne en face me ressemble et je lui souris gentiment. Les autres fois, je la trouve totalement étrangère et je fais en sorte qu’elle disparaisse de mon esprit aussitôt.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne sais quoi vous répondre. Je crois que je peux tout oser faire, si j’en ai besoin ou si j’en ai envie.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Saint Pétersbourg – c’est une ville que l’on ne connaît jamais assez. Son histoire est très riche, la rendant inépuisable malgré sa courte histoire.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
J’aime les non-dits de Balhtus. L’énergie des toiles de Frida Kahlo.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
J’adore le mystère des cadeaux.
Que défendez-vous ?
La transgression des règles. Le regard libre de tous les schémas imposés.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
On ne peut pas donner ce que l’on ne possède pas. On ne peut pas rendre heureux celui qui ne le veut pas.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
La question doit être digne de la réponse.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Etes-vous heureuse ?
Présentation et entretien par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com,le 14 octobre 2014.