Justine Kurland, SCUMB Manifesto

Sous le fil du rasoir

SCUMB Mani­festo pré­sente l’initiative sans com­pro­mis de la pho­to­graphe Jus­tine Kur­land de la Society for Cut­ting Up Men’s Books. Ce volume offre une col­lec­tion de col­lages que l’artiste a créés en décou­pant et en recon­fi­gu­rant des livres de pho­tos d’artistes mas­cu­lins, qui ont mono­po­lisé le canon pho­to­gra­phique des hété­ro­sexuels.
Le col­lage hété­ro­gène, déchiré, méta­mor­phosé, per­turbé, fan­tasmé a été long­temps une stra­té­gie fémi­niste dans la vie et dans l’art. Selon le rituel de Kur­land, le col­lage se veut répa­ra­teur et aimant : chaque œuvre est une réap­pro­pria­tion de l’histoire, le démem­bre­ment du patriar­cat, l’ inver­sion sexuelle des condi­tions habi­tuelles de la pos­ses­sion. Bien que net­te­ment dif­fé­rentes dans leur style, les visions fémi­nines pro­vo­cantes dépeintes dans ces com­po­si­tions sont une conti­nua­tion de celles dépeintes dans les pro­jets pho­to­gra­phiques anté­rieurs et bien plus tôt de Kur­land avec « Girl Pic­tures » « Mama Babies ».

Chaque œuvre de SCUMB résonne comme un appel élec­tri­sant à la liberté à la fois de créer, de détruire, d’imaginer et de remo­de­ler notre monde visuel et social.« J’ai dû m’asseoir pour SCUMB pen­dant un cer­tain temps avant de savoir ce que je res­sen­tais ; J’aime ça dans un livre. Au début, je me suis senti pro­tec­teur de l’œuvre décou­pée à l’intérieur, que j’aime en grande par­tie, et cela a été aggravé par le sen­ti­ment que j’ai depuis l’enfance que les livres sont proches du sacré, que détruire un est pro­fane », écrit l’auteure. Mais il est rare que l’art visuel sus­cite une réac­tion incon­for­table et vis­cé­rale et un plaisir.

Ce livre ne traite pas des artistes indi­vi­duels qui y sont repré­sen­tés, mais d’un sys­tème plus vaste. Il est mon­tré avec colère et sans s’en excu­ser, et dans l’acte de des­truc­tion, il crée quelque chose d’étrange, de beau, de drôle, de furieux et de brillant. En cette bro­chette aussi tran­chante et lucide du canon mas­cu­lin, tout est tra­vaillé au cas par cas de manière com­plexe à coups d’allégresse et de rasoir.
Les frag­ments de maî­trise artis­tique pas­sée deviennent, lorsqu’ils sont dis­po­sés sur les planches écor­chées de leurs pré­cé­dents conte­nants, quelque chose comme une fouille archéo­lo­gique d’un monde animé et anar­chique. Peut-être pour l’avènement d’un nou­veau monde.

jean-paul gavard-perret

Jus­tine Kur­land, SCUMB Mani­festo, Mack édi­teur, 2024, 282p. — 75,00 €.

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