Jean-Claude Hauc, Journal du coureur

Don juan – enfin presque

Le héros de Jean-Claude Hauc, comme le titre du livre l’indique, est un dia­riste et cou­reur mais aussi un voya­geur voire un Don juan. Ce qua­dra­gé­naire se voyait déjà enlisé dans un ensemble d’habitudes rigides et mor­ti­fères. Mais il découvre brus­que­ment une plas­ti­cité jusque là insoup­çon­née.
Obs­ti­né­ment gour­mand de femmes et de séduc­tion, il est venu se repo­ser quelques jours dans la vieille mai­son fami­liale du midi de la France et sur­gissent des sou­ve­nirs qui le ramènent vers son enfance notés dans son jour­nal. Entouré de sa nièce ado­les­cente (Del­phine) et d’une amie de celle-ci (Sophie), sans oublier Gus­tav Mah­ler dont il est en train de lire une bio­gra­phie, il se sent comme absent parmi les autres. Et sur­git brus­que­ment d’une vieille malle le grand-oncle Hec­tor mort à vingt ans pen­dant la Grande Guerre, en Serbie.

En quelques enjam­bées, le cou­reur fou­droyé va rat­tra­per son neveu cou­reur de jupons. Le passé cesse dès lors de se confondre avec le pré­sent empiété. Pour preuve chez ce dia­riste, l’instant de la rup­ture est plus vif dans sa mémoire que celui de la ren­contre. Mais le doute est per­mis. Existe dans le témoi­gnage de sa vie un sen­ti­ment de gâchis, de per­pé­tuelles fuites. Peu de ces femmes sont res­tées des amies après leur départ. Elles éprouvent hos­ti­lité, ran­cœur, res­sen­ti­ment. Et c’est jus­ti­fié même si le per­son­nage insiste peu là-dessus. L’inflexion des voix chères qui se sont tues, à sa manière il les « bro­mure ». Et ce, pour ban­der avec d’autres lors de ses rapides cures d’oubli.

Sophie et Del­phine et bien d’autres sont des cita­delles entou­rées. Même si les cir­cons­tances de la mort d’Hector l’obsèdent. Tout cela mêle l’Histoire et ses guerres à la sienne. La pre­mière donne du poids à ce qu’il a tenté de cher­cher pour le monde et pour lui-même : le mys­tère fémi­nin dont il découvre qu’il n’existe pas. Cette inven­tion des poètes roman­tiques, n’a de secret que celui de Poli­chi­nelle. Sor­tie pos­sible à son ego : un goût pro­noncé à refu­ser de pra­ti­quer une sorte de don­jua­nisme sté­rile, un peu mys­tique. Tout en ajou­tant quelques noms sur sa liste.

Bref, pour cet intel­lec­tuel savant mais viril, le manque conti­nue tou­jours d’exister. Por­teur de livre en genèse per­pé­tuelle jusqu’au bout, jusqu’à la fin il sait que son der­nier ouvrage (à venir) ne contien­drait enfin que le mot de l’énigme qui ne sau­rait être écrit. Mais  après tout, ouvrir deux jambes de femme vaut mieux toute lec­ture. Et le héros d’ajouter de Mah­ler : «Le poète jouit de cet incom­pa­rable pri­vi­lège, qu’il peut à sa guise être lui-même et autrui. Comme ces âmes errantes qui cherchent un corps, il entre, quand il veut ». Voilà son sem­blable son frère, coït aux lèvres si l’on peut dire et si besoin.

Tout s’imagine encore dans un tel jour­nal même si le des­tin n’existe pour lui que plus tard. Sans dire pour autant que chaque Don Juan vit à ses dépends en guise de jus­ti­fi­ca­tion. Sa voie reste tra­cée car, bon an mal an, il trouve ce qui lui manque. Comme des femmes le lui firent remar­quer, sa vie était vide de sens, sans rien qui puisse don­ner un but sinon celle à laquelle il pense et ima­gine déjà nue et allon­gée sur son lit. Quitte à pra­ti­quer des sub­ter­fuges, télé­phone aidant si possible.

Après tout, cela ne mange pas de pain. Ou presque. Râles et sou­pirs volup­tueux peuvent être fil­trés et flir­tés au télé­phone. Et qu’importe l’histoire secrète de sa famille et de ses recherche. Mais pour lui, chaque femme est une pos­sible source d’information. Sup­pli­ca­tions, évo­ca­tions fémi­nines et inten­tion d’écrire lui tournent un peu la tête. “J’avais l’impression de me pen­cher sur quelque gri­moire à moi­tié effacé”, dit le héros mais peu comptent ici les nœuds de l’énigme et l’origine de la longue errance que consti­tue sa vie.

Chaque pièce du puzzle se rac­corde par­fai­te­ment à une autre. Faute de la quête absurde d’un mys­tère fémi­nin, la femme fait de lui un agi­ta­teur sté­rile et séduc­teur. Il est (ou plu­tôt serait) impuis­sant d’échecs d’écrivain vel­léi­taire mais avec son goût pour la musique alle­mande. Quant à Del­phine et son amie, pour l’heure elles le cau­té­risent en une ivresse pas­sa­gère. His­toire d’attendre ses forces qui lui per­mettent de reprendre enfin sa course comme les coqs scal­pés qui conti­nuent de zigzaguer.

jean-paul gavard-perret

Jean-Claude Hauc, Jour­nal du cou­reur, Tin­bad, 2024, 74 p. — 14,00€.

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Filed under Beaux livres, Chapeau bas, Romans

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