Se penser, se représenter ne revient pas à ces entreprises de nostalgie éplorée et généralisée que nous connaissons de nos jours. Jeanne Tsatos (1902–2000) dans toute son œuvre les a transfigurées.
Ce qu’il convient de cerner reste aujourd’hui encore plus qu’hier non de la généalogie mais bien plutôt une entreprise autobiographique qui possède à la fois un sens mortifère mais surtout une écriture (qui sont le produit d’une culture) et des procédures d’imagination qui ouvrent et le silence et la lumière. La créatrice cerne une “ vérité ” évidemment toujours relative mais qui prouve une reconstruction. Elle ne peut se présenter qu’à travers le lieu de l’écriture .
Chez l’auteure grecque, la science de la création poétique ne tient pas à une logique ou à des grilles de fabrication : elle propose une avancée dans bien des méandres et des strates de divers degrés aussi intimes que politiques. Jeanne Tsatos ne se contenta jamais de labourer les plates-bandes de l ’“autofiction” poétique. Son univers mental du visible, du silence et de l’énonçable ne se réduit pas à ce qui ne pourrait guère aller plus loin que des affirmations de principes et d’évidences.
La poétesse a écrit des sortes de carnets de bord poétique où toute vérité est une construction. Ses textes deviennent la parfaite évocation des tours et des détours de l’ombre et de la lumière. Face à la société grecque — qui fut une machine extraordinaire de productions d’énoncés -, elle a entretenu, devant la foirade de la comédie des scintillements répétitifs, l’ombre nécessaire pour faire surgir d’autres lumières.
Dans un véritable langage poétique capable de dévoiler tout en en préservant le mystère, Jeanne Tsatos fait ressurgir les images naïves et sourdes cachées au profond de l’humain. Elles se mettent et nous mettent en situation de ce qu’on peut appeler l’expérience vitale majeure. A relire ses œuvres, se retrouvent ses secrets. Ils passent entre les mailles des interdits sociaux et affectifs. En conséquence, toute son esthétique est éloignée des pudiques ou menteurs qui mitonnent le langage d’une manière édulcorée.
jean-paul gavard perret
Jeanne Tsatos, Paroles du silence, suivi de Lumière dans l’obscurité, Le bois d’Orion, 2024, 224 p. — 19,00 €.