Au fond de l’absence, l’absence elle-même est donnée comme présence absolue — le mot absolu est ici à sa place puisqu’il signale la séparation éprouvée dans toute sa rigueur (l’absolument séparé). En cet abîme, l’écriture est donc l’espace de la mort. Elle consacre par anticipation le point sans centre où elle est l’épreuve de son impossibilité — lorsque non à force mais par force il n’y aura plus rien à dire.
En conséquence, l’écriture rend toujours incertain à soi-même voire inexistant. Par la grâce ou, sous formes de ses propres feuillets, Hypnos fait retour. Chacun met en cause celui qui se tenant à lui ne tient donc à rien. Quoiqu’il fasse, il se retire de ce qu’il fait, de ce qu’il peut, de ce qu’il est — même chez Ducos lors de ses déclarations les plus brûlantes (Feuillet 11) qui prennent une insistance plénière.
Toutefois, par la voix et la voie d’Hypnos, et en un quantum de références biographiques et livresques, écrire ne sauve rien, même si chaque étape enfonce le sensible mais au prix d’une lucidité paradoxale prise ou comprise comme égarement et errance.
Blaise Duclos rappelle qu’écrire reste l’erreur essentielle dont on ne se remet pas ou trop bien. Celle aussi dont on ne sort pas vivant mais en rien mort. D’autant qu’à l’inverse des autres arts plus “plastiques” et aussi des poètes disparus, l’écriture sépare, divise, défait.
Elle ne renvoie pas à la réalité mais à son fantasme, mais — paradoxe suprême — elle inclut la vérité qui n’a pas à être dite ou connue mais peut se connaître elle-même par la rigueur vitale de l’auteur. Pour lui, il convient de tirer les conséquences et aller au bout non de l’erreur mais de la maladie de l’écriture. Elle fait ici un cheminement sans but, une (in)certitude de chute sans chemin voire pratique la chute (im)prévue d’un cheminement sans fin.
Bref, retourner à et retrouver Hypnos reste pour Blaise Ducos un supremum. Le grec a bon dos et il permet à l’auteur des nuits d’élection de se sacrer démon de légende.
jean-paul gavard-perret
Blaise Ducos, Hypnos parle, Le bois d’Orion, 2024, 80 p. — 14,00 €.