Thomas A. Ravier, Je lisais, ne vous déplaise

Quand la lit­té­ra­ture remue

Roman­cier et essayiste fran­çais, Tho­mas A. Ravier publie de nom­breux essais et romans et a col­la­boré à de nom­breuses revues dont Art­press, la N.R.F., L’Infini, La revue lit­té­raire et Les Cahiers de Tin­bad. Son der­nier livre est en quelque sorte un point géné­ral sur ses lec­tures. « Nous sommes le 1er Juillet 2023 : l’été est irres­pi­rable, une bise brû­lante est venue recou­vrir le monde… et je n’en suis pas plus dépourvu. Je lis et je vais lire comme ça tout l’été. À juger de la richesse de ma biblio­thèque, je ne suis pas prêt de crier famine. Inutile, donc, de me poser la ques­tion : « Que faisiez-vous au temps chaud ? », écrit l’auteur. Sa réponse : ses amours lit­té­raires dont il faut avouer que les femmes sont ses maî­tresses trai­tées par elle-même (Colette) ou ses amants (Sol­lers et bien d’autres).

Dès le début, Colette est l’héroïne de son livre sous sa propre confes­sion : «Quand mon corps pense, alors tout le reste se tait . À ce moment là, toute ma peau a une âme. ». Cela pour­rait deve­nir l’Histoire Lit­té­raire afin de sau­ver les meubles dont Thomas-A Ravier repère les pre­miers émois fémi­nins (Mon­taigne et Molière com­pris) jusqu’à via Sade et bien des auteurs contemporains.

Pour des Proust, Genet, Ber­na­nos à fleur de peau des femmes ou dans leur pro­fon­deur, l’âme reste une gérante pour le moins capri­cieuse — d’autant qu’elle fut par­fois gra­ti­fiée de mal­veillance par des bien pen­sants tant ils estiment par­fois les femmes au bord de la crise de nerfs, voire de l’hystérie flau­ber­tienne. Certes, sou­vent l’écrivain mâle se plaît à effleu­rer (ou cares­ser) leur vérité. Mais leur poro­sité l’entraîne en diverses vaca­tions (far­cesques ou non). Il avance à l’aveuglette dans leur juge­ment même s’il ima­gine que le spé­cu­lum de cer­taines est dans la tête pour son­der le fait qu’ils prennent la femme comme une vic­time de sa super­fi­cia­lité ou son erreur de jugement .

Thomas A Ravier est plus fin que cela — quitte à “bigner” que des « femmes sans sexe se recon­naî­tront. » Mais crai­gnant d’être mal vu par elles et toutes les autres, il sait autant lire qu’écrire. Bref et comme il cite Mon­taigne, « C’est vice de s’obliger » non seule­ment pour s’en repaître mais défendre la divine (ou presque) engeance. Colette pour lui est à l’empyrée tant elle sait « démas­quer moins les ténèbres que la lumière ». Mais par la grâce d’une telle femme per­met à l’Histoire lit­té­raire de se vider « d’un repaire de céré­braux fri­leux, d’idéalistes enfer­més dans une tour moins d’ivoire que de fer, jugeant le monde faute d’en jouir, sinon à tra­vers le dis­po­si­tif per­vers de la fiction. »

Preuve que l’essayiste reste madré, iro­nique et lucide. Dans sa fresque de lec­ture il ne cherche pas à brû­ler les livres mais a repéré de facto ceux dont les femmes sont fan­tômes aux fleurs séchées. Son vaga­bon­dage est un moyen de mettre à jour son tri le plus inté­res­sant : sa comé­die humaine et sa recherche des temps per­dus lui per­mettent d’écrire le plus grand livre d’amour de sa lit­té­ra­ture flé­chée à juste titre.

Il défend au pas­sage sur­tout des hommes de Mon­taigne, Sha­kes­peare, Bos­suet, Mari­vaux, Proust, Morand, Ber­na­nos, Artaud, Céline, Faulk­ner, Genet ou Sol­lers sans oublier la seule femme de son cor­pus (Colette) pour défi­nir la grande valeur des roman­ciers. Les bons élèves sur­clas­sés, les poètes à lire au calme, l’élevage duras­sien, les blo­gueurs ne sont pas de son domaine ni du notre. D’où, par le fait, ce livre « moral » et des femmes. Sol­lers en demeure un élé­ment capi­tal puisqu’il est la clef des Femmes et leur « Para­dis » que Ravier rap­pelle à juste titre car il s’agit d’un livre majeur même s’il « a beau­coup tourné autour du célèbre pas­sage d’Ulysses» de Joyce.

L’essayiste a l’immense mérite de de dénouer des ques­tions sur les­quelles les appa­rences butent. Igno­rant les fic­tions de stuc, au sein de sa géo­gra­phie lit­té­raire élar­gie, il tord le coup à l’enfer fémi­nin et aussi à la vic­toire sur la mort dont un Daniel Rops n’offrait qu’un aimable diver­tis­se­ment. Ravier fait sau­ter bien des re-pères et des fils pos­si­ble­ment dis­jonc­tifs de la lit­té­ra­ture.
Son fil­trage per­met en tant que lec­teur une assomp­tion roma­nesque. Même s’il ose par­fois des éclairs d’approximations dis­cu­tables mais brillantes : « Le lec­teur est ici obligé de tenir compte du fait que le propre fils de Sol­lers se pré­nomme David. Gar­dons éga­le­ment à l’esprit que la fin de « Femmes » est pla­cée sous le signe du roi David. Le roi David dis­pa­raît donc des romans de Sol­lers au pro­fit, pourrait-on dire, de Hei­deg­ger ». C’est un ver­tige de la pen­sée. Il nous oblige for­cé­ment, nous qui deve­nons les lec­teurs du lec­teur le plus séduisant.

Ravier  a su replier son regard autant par ce que néces­sitent ses lec­tures mais que son écri­ture dont le tra­vail invi­sible fait muter la langue. Après tout, l’auteur est l’héritier de Sol­lers dont, rappelle-t-il, son œuvre fonc­tionna « sur le modèle de la pro­phé­tie. Soit celui d’une parole assez sin­gu­lière pour pui­ser son ave­nir dans un passé bon­dis­sant. ». Preuve que tout fis­ton n’est pas maux dits.

jean-paul gavard-perret

Tho­mas A. Ravier, Je lisais, ne vous déplaise, éditions Tin­bad, coll. Tinbad-Essai, Paris, 2024, 264 p. — 23,00 €.

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Essais / Documents / Biographies

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>