Coralie Akiyama et les illuminations – entretien avec l’auteure (Devorée)

Poète, roman­cière, pho­to­graphe, Cora­lie Akaiyama a connu une époque de tem­pêtes à Tokyo (cf. son roman Dévo­rée, où cer­tains hommes japo­nais se mêlaient aux vagues furieuses de la vie des femmes. Mais (loin du per­son­nage de ce roman) une telle créa­trice reste com­plè­te­ment reliée à sa foi, quitte à épou­ser chaque pays qui la trans­porte dans un autre monde. Mais dans l’obscurité la plus pro­fonde, elle ouvre les yeux. Par sa beauté de l’âme et du corps, elle est une par­celle de l’Univers, inti­me­ment liée à chaque être vivant. Par son écri­ture et sa sen­si­bi­lité, elle vibre jusqu’à extraire son moi pro­fond. A Tel-Aviv, elle s’est aban­don­née à Dieu, à la nature elle-même.

Dans sa poé­sie, elle offre son être – femme parmi les autres, étoile dan­sante dans le monde autour d’elle  – pour créer même ce qui a com­mencé par­fois à paraître irréel, comme un décor fis­suré, une illu­sion fra­gile mais jusqu’à atteindre sa vérité. Des ombres se glissent entre les rayons du soleil, des mur­mures inau­dibles se mettent à chan­ter. Elle sent une pré­sence, une force invi­sible qui la guide comme une chatte aux pru­nelles mys­tiques. Elle sait voir au-delà du voile de la réa­lité, et son regard rap­pelle que l’inconnu est tou­jours là. Elle conti­nue son voyage phy­sique et spi­ri­tuel vers l’Illumination.

De l’auteure et entre autres  : Dévo­rée, édi­tions Vibra­tion (2022), Soshanna, Edi­tions Douo, 2023.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie de faire plai­sir aux gens que j’aime. Aux autres aussi, le défi est plus grand.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Quand j’étais petite, je vou­lais me marier avec mon cou­sin et que l’on vive ensemble dans la mai­son fami­liale. J’ai ensuite élargi un peu mes rêves et suis allée au bout de mon envie d’explorer le monde, en allant vivre à Tokyo.

A quoi avez-vous renoncé ?
À un deuxième enfant, à l’idée de me sen­tir chez moi dans une mai­son ou un appar­te­ment et à celle de construire avec d’autres pays une rela­tion aussi forte que celle que j’ai avec le Japon.

D’où venez-vous ?
De très loin.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
L’instinct de sur­vie. Et un cer­tain esprit bour­geois. Je pense que l’on peut prendre des dis­tances par rap­port à son milieu d’origine mais que l’on n’en sort jamais vrai­ment. On parle beau­coup de « trans­fuges de classe » à pro­pos d’Edouard Louis ou d’Annie Ernaux, mais je ne crois pas en cette idée.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Un verre de saké (de pré­fé­rence sec, de Nii­gata) avec du shio­kara de cal­mar, une pré­pa­ra­tion à base de vis­cères crus et fer­men­tés quand je suis au Japon, ou un verre de vin quand je suis en France. Me bai­gner dans une rivière, mar­cher dans une ville, décou­vrir un artiste talen­tueux, échan­ger des avis sur un film — bon ou mau­vais — à la sor­tie d’une projection.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
L’illustration de la cou­ver­ture d’un livre pour enfant, Le Chien bleu. Il avait un regard doux et triste qui m’est resté en mémoire.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Des petits poèmes de Pré­vert que ma mère me lisait ou me fai­sait lire.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Des musiques en rap­port avec ce que j’écris, pour une immer­sion totale dans l’univers. J’écoute aussi bien du clas­sique que des varié­tés fran­çaises, du jazz ou du rock. Le plus grand moment musi­cal de ma vie a été un concert de Kenny Gar­rett. J’écoute peu de musiques bré­si­liennes mais j’ai été enchan­tée par le docu­men­taire Sara­vah de Pierre Barouh.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’ai relu entiè­re­ment Le Tumulte des flots de Mishima à voix haute pour ma fille, quand elle était enfant. J’ai récem­ment redé­cou­vert cet auteur à tra­vers la lec­ture d’un livre éton­nant, La Musique, dans lequel une femme fri­gide consulte un psychanalyste.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Je pleure rare­ment devant des films, seul l’opéra peut vrai­ment me faire pleu­rer. Mais je peux citer des films qui m’ont bou­le­ver­sée : « La Maman et la putain » de Jean Eus­tache, « Le Tom­beau des lucioles » d’Isao Taka­hata et “Shoah” de Claude Lanz­mann. Les films qui me marquent, sans savoir si je dois rire ou pleu­rer sont ceux de Lina Wertmül­ler : “Vers un des­tin inso­lite sur les flots bleus de l’été” et “Pasqualin “.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une enfant espiègle ou une enfant bles­sée, selon les jours.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À l’homme qui m’a sauvé la vie dans le passé, par crainte de le déran­ger. S’il lit cet entre­tien un jour, j’aimerais qu’il sache que je n’ai rien oublié et que j’éprouve en per­ma­nence un sen­ti­ment de recon­nais­sance envers lui. Si je peux faire quelque chose un jour pour le remer­cier, je le ferai. Il peut tout me demander.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le magné­tique Sinaï et la Gali­lée. Il y a un petit ruis­seau autour du lac de Tibé­riade qui forme une sorte de pis­cine à l’eau opaque et très pois­son­neuse, sous un immense figuier, où l’on éprouve une sen­sa­tion de paix et d’abondance. Au Japon, c’est le lac de Tazawa, l’eau y est pro­fonde et d’une pureté excep­tion­nelle. Une très belle femme trans­for­mée en dra­gon serait tou­jours dans le lac. Je cite­rais bien des endroits en France, dans le sud, mais gardons-les secrets pour qu’ils res­tent des mythes !

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez la plus proche ?
Ponge, Michaux et Char. René Cre­vel, dans La Mort dif­fi­cile ou Céline dans Mort à cré­dit m’ont donné l’impression de me par­ler direc­te­ment. Je me suis étran­ge­ment sen­tie très proche du monde décrit par Akira Yoshi­mura dans Nau­frage, au point de me rêver dans le village.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Qu’un ou une cinéaste du sud comme Jean-Baptiste Durand, le réa­li­sa­teur de « Chien de la casse », adapte le roman que je suis en train d’écrire (il est très ancré loca­le­ment) à l’écran.

Que défendez-vous ?
Si je devais défendre une cause en prio­rité, ce serait celle de l’enfance. Ainsi que toutes les liber­tés fon­da­men­tales. Le thème revient déjà dans mes textes, mais j’ai pour pro­jet d’aller plus loin.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je ne me sens pas concer­née par ces pro­pos parce que je suis croyante et me sens en per­ma­nence aimée par Dieu, mais je crois que je ne vou­drais pas non plus rece­voir de l’amour de la part d’un homme qui énonce des véri­tés géné­rales sur l’Amour comme si sa propre per­cep­tion s’appliquait à tous, ça manque d’humilité.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je suis tout à fait d’accord avec lui.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Ce que j’étais en train d’écrire en ce moment mais tant mieux car je pré­fère ne pas en par­ler dans l’immédiat. Peut-être une ques­tion sur mes paru­tions pro­chaines? Le recueil  «Femme, si j’étais», pre­mier que j’ai écrit, qui sera publié en inté­gra­lité aux Édi­tions PVST (Pour­quoi viens-tu si tard ?) en octobre pro­chain et illus­tré par le grand Jacques Cauda.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­lisé par jean-paul gavard-perret, pour le litteraire.com, 14 sep­tembre 2024.

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