Stéphane Cerutti poursuit son voyage. Il reste toujours capable d’inventer la naïveté qu’on accorde – à tort – aux temps passés ou présents. Son poignet caresse des surfaces pour étendre par touches magnétiques des sismographies déréglées. Le monde semble incertain, se perd en rêves de limbes au moment où créer revient retrouver leur connivence, leur attirance, leur vérité.
La nuit, ils ressemblent à des ruelles où miaulent d’impossibles chats mais avec la sculpture ils enseignent l’alcool des lendemains dont les voluptés n’ont rien de mécaniques. L’espace et le temps sortent de leur prison. Cerutti, en travaillant, rêve debout à la vitesse des flèches sans curare.
Son imaginaire claque, drapeau au vent. L’artiste fait des graviers d’ivoire sur ses harpes de haute lisse médiévales. Et voici une nouvelle fois, contre toute attente, des spectres rigolards qui ou résument une naïveté que l’on accorde aux temps anciens. Existent aussi des présences énigmatiques presque abstraites quelquefois là où le présent se fend.
Toute effraction laisse une trace. Et les œuvres semblent vibrer, trembler à la moindre chute, au plus ténu des bruits. De ses mains, l’artiste harcèle en mécanicien ce qui est. Un jour — il y a très très longtemps -, ce fut la première fois : depuis tous les autres. Celui des gestes d’un homme qui cherche un espoir dans ce qu’il fait..
L’œuvre et son étrangeté éruptive retournent le sens des choses : elles se désagrègent pour créer une jouissance au moment où le réel butte en des figurations « impossibles » par effet de transfert.
Bref, Stéphane Cerutti désaxe visions, assises, sécurité. Chaque sculpture dans sa « fantasia » se met à exister d’une autre façon. De la pure illusion, l’image passe à la transgression là où les choses, non se défont, mais communiquent différemment. Rien n’est plus rare. Le voyeur est renvoyé à sa propre solitude face à de tels sourds appels et injonctions.
Il ne s’agit pas de substituer la réalité à l’idée en vue d’un quelconque apaisement. L’artiste assume que l’idée transforme la réalité par un humour surréaliste. Tout cela n’est pas convenable du tout : surtout lorsque rien n’est à sa place. Et après chaque œuvre accomplie, le sang bat à son cou, il allume une cigarette. L’une est un point, l’autre une ligne. Elle voyage dans la nuit.
jean-paul gavard-perret
Stéphane Cerutti, Terre en marche et Tourne bois, Château du Tremblay 89520 Fontenoy, mai 2024.