Vers le secret qui délivre : entretien avec Francis Coffinet (L’argile des voyous)

Ce qui frappe dans cet impor­tant et rare entre­tien tient à la pré­ci­sion et la vision de Fran­cis Cof­fi­net poète, plas­ti­cien et acteur fran­çais. Il peut résu­mer son et notre par­cours : « Plus per­sonne ne se tait à l’intérieur de la terre ». Mais il explore les tré­fonds de l’âme humaine par la poé­sie et les arts visuels en tant qu’alchimiste à sa manière.
Son objec­tif sou­ter­rain reste de s’insinuer au plus près de la matière et du corps « pour que la marque, la cou­pure, l’incision soit nette, lumi­neuse, défi­ni­tive dans son énon­cia­tion », ajoute-t-il dans L’argile des voyous suivi de J’incise le défié (Edi­tions Ali­dades). Existe dans ses œuvres et modes d’expressions un point de ren­contre et de fusion entre le corps, le monde et le temps.

Par une forme déme­su­rée d’ « inno­cence », Fran­cis Cof­fi­net ouvre un uni­vers par son inven­tion infi­nie, sa moi­rure per­pé­tuelle, sa méta­mor­phose consti­tu­tive. On ose­rait même pen­ser que la nor­ma­lité devien­drait mons­trueuse en un tra­vail avec la limite là où sur­git l’intuition du spectre du vivant, en une suite d’accords en glis­sendi et démultiplications.

Fran­cis Cof­fi­net, L’argile des voyous suivi de J’incise le défié, édi­tions Ali­dades, 2008, 36 p. — 4,80 €.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
À un moment, pen­ser qu’il y a encore un com­bat à mener, au jour le jour. Qu’il y a encore une chance pos­sible pour ce jour là. Ten­ter de trou­ver comme dans un jeu de domino, le numéro qui cor­res­pond à celui « jouer » la veille.
Croire qu’il y a tou­jours un pro­blème à résoudre ou quelqu’un à aimer der­rière la porte.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves des­si­naient en quelque sorte les contours de mon futur.
J’ai tenté, et je tente chaque jour, de les peu­pler de l’intérieur, de les nour­rir . Il y a des jours heu­reux et il y a des jour de diète.

A quoi avez-vous renoncé ?
Un apai­se­ment per­ma­nent dans les rap­ports humains.
Une huma­nité qui irait for­cé­ment en s’améliorant… Mais cepen­dant, j’attends tou­jours des sources d’espoir. Je crois éton­nam­ment aux lendemains.

D’où venez-vous ?
Très concrè­te­ment de Cham­pagne. Mais plus sûre­ment d’une pen­sée, qui n’est peut-être pas la mienne. C’est ce que je crois de plus en plus.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
La contra­dic­tion que je tente de façon­ner jour après jour en une force ou une évi­dence. Mon père était déjà lui-même un grand contradicteur.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le café du matin, la décou­verte du monde chaque jour quand le corps renaît, se remet en marche — Ten­ter de cher­cher un nou­vel ami ou un nou­vel artiste avec qui tra­vailler, j’aime beau­coup les col­la­bo­ra­tions et les livres d’artiste(s) où plu­sieurs inter­ve­nants se croisent. Et puis aussi ima­gi­ner quelles sont les vies de ceux que l’on croise dans les rues, sans les connaître. Et écou­ter France Culture dès le réveil…

Com­ment définiriez-vous votre poé­tique ?
Une mathé­ma­tique, un dosage pré­cis , je pense qu’il existe der­rière chaque poème une sym­bo­lique, une métrique non dite qui donne vie et mou­ve­ment au corps même du texte/ « La poé­sie est une science juste mais invé­ri­fiable. » écri­vait Jean Cocteau.

Quelle influence les théo­ries lit­té­raires (ou autres) ont sur elle ?
Comme des êtres que nous avons croi­sés, les influences lit­té­raires nous per­mettent par­fois de trou­ver une voix avec laquelle on s’accorde avant de pou­voir par­ler seul.

Quel poids repré­sente le passé dans votre oeuvre ?
Ce sont des terres tra­ver­sées. Le moment passé est, nous pour­rions dire, comme figé dans l’écrit, c’est à la lec­ture que le texte se réin­carne, s’ouvre à nou­veau comme une fleur de thé. Il peut avoir un poids sur la vie per­son­nelle de l’auteur, sur son œuvre je ne le pense pas.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Celle d’un kaléi­do­scope, Essoyes, Romilly-sur-Seine, les villes de mon enfance et les visages aussi, ceux que je nomme encore, que j’appelle et qui reviennent.

Et votre pre­mière lec­ture ?
« J’aimais les pein­tures idiotes, des­sus de portes, décors, toiles de sal­tim­banques, enseignes, enlu­mi­nures popu­laires ; la lit­té­ra­ture démo­dée, latin d’église, livres éro­tiques sans ortho­graphe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opé­ras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. » Rim­baud
Puis les livres d’école sans doute, puis le poème et beau­coup d’écrits éso­té­riques.
Auro­bindo, Basho, mais aussi Pagnol et mes romans secrets et interdits.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Par période, j’écoute beau­coup de Man­tras, des musiques clas­siques, élec­tro­niques, des varié­tés fran­çaises et inter­na­tio­nales aussi… du jazz, des musiques reli­gieuses, des per­cus­sions…
Mais j’ai sur­tout été très long­temps, sans écou­ter de musique, en écou­tant que la parole, les textes, à la radio souvent.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je reviens aux « écri­tures » à la Bible. Mais je relis aussi Bor­gès et Dylan Tho­mas, Mar­cel Cohen, Anto­nin Artaud, Jean Sénac, et tant d’autres.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Pleu­rer je ne sais pas, mais « Birdy » d’Alan Par­ker repré­sente pour moi un pur bloc d’émotion.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je ne réflé­chis pas à cela… c’est une image qui plonge en elle-même.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
J’ose écrire, mais peut-être ne pas tout dire. On pose tou­jours des filtres sur ce que l’on écrit aux autres. Avec le temps on ose davan­tage. J’écrirais bien à la terre entière, à celle qui peut lire.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Peut-être New-York et Tokyo / je ne voyage que pour des néces­si­tés, tour­nage, rai­sons fami­liales évé­ne­ments lit­té­raires, alors vivent en ma mémoire cer­tains ves­tiges, un peu à la façon des pein­tures d’Hubert Robert.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Mar­kus Lah­tela , Gérald Neveu, Ale­jan­dra Pizar­nik, Chris­tian Hubin, René Dau­mal, Walt Whit­man, Patrice Covo… et les mille et un autres… Miro, Cha­gall, Gavin Bryars…
Ce que je n’attends pas et qui saura m’ouvrir la porte contre laquelle je cogne depuis toujours.

Que défendez-vous ?
La fra­gi­lité, l’écoute, le dés­équi­libre, le rap­port res­pec­tueux à l’autre. Ce qui n’empêche pas la pré­ci­sion aiguë des échanges.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je crois plu­tôt au contraire de cela.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Je pense à ce que disait Henri Michaux, « même si c’est vrai, c’est faux ».

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Sans doute celle qui me per­met­trait de pro­non­cer la phrase qui me déli­vre­rait à Jamais. Peut-être n’est-il pas trop tard.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 07 juillet 2024.

1 Comment

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One Response to Vers le secret qui délivre : entretien avec Francis Coffinet (L’argile des voyous)

  1. Villeneuve

    Très inté­res­sant ! Ce ne sont plus des cahiers mais des mots bleus qui trans­portent l’esprit et l’âme . JPGP a réa­lisé une véri­table levée d’écrou d’un secret bien gardé par Fran­cis Cof­fi­net . J’ai tant aimé ce dernier .

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