Deux amis à la montagne et surtout à la Montaigne, fins du vin de messe en guise moins d’Introït que d’Ite missa est, rameutent via leur double écriture leurs admirations politiques et surtout tellement de réaux en littérature. L’un tient le volant, l’autre la place des morts et des vivants mais, au besoin, les deux retirent des marées cages certains bœufs littéraires qui ne furent que crapauds.
Doués pur la polémique, ils sont des assassins fiers de rester spadassins du langage et pamphlétaires de beaux esprits approximatifs. Ceux-ci — non comme les deux auteurs — s’encanaillent jadis ou aujourd’hui sous les jupes des jeunes filles (et certains dans le slip des petits garçons).
Il y donc ici, on s’en doute, du Mauriac, du Jean-Edern Hallier (dit le fou), jamais acariâtres chez de tels histrions de la langue. Leur mérite est de prolonger la tradition des imprécateurs aux traits venimeux Certains sont sauvés et exemptés de soupçons, d’autres plus équivoques : Aragon, “la grande coquette nihilise” (il n’est pas le seul). Mais ils sont plus (ou presque) sauvés : Alain Fournier, Joë Bousquet, Céline qui “compte infiniment plus que”, Colette “hédoniste tragique”, Joseph Delteil, Michel Houellebecq (proche de l’Ehpad littéraire(…), Violette Leduc, Pierre Lepère, Christian Millau, Patrick Modiano, Albertine Sarrazin, Simenon, Philippe Sollers, Proust (surtout) et Cauda et Pichon par eux-mêmes.
Les inconvenances sont débridées face aux belles âmes des beaux quartier où ils partagent leur lit pour oublier parfois leur baraque à frites des pensées afin d’éjaculer de “magistrales fadaises” une fois choses faites. La docilité de leurs diverses courtisaneries est aussi rappelée si nécessaire à de tels “bipèdes savantissimes” qui rament pour réussir et jouent les proctologues des lettres en divers trous.
D’où cette sorte d’opéra dégueu en un travail à quatre mains d’orfèvres. Elles tortillent la réputation de certains fions. Et les deux auteurs nous ravissent de ce qui si souvent est tu au sujet de trop jolis cœurs face à l’indicible et au désespoir tant, en eux, l’artiste chaud se cache.
Souvent, un auteur rêve d’idéal mais son envie de forniquer est moins de se préserver du malheur que d’y mettre quelques croix dessus ou dans le cimetière de la littérature où les cadavres se raidissent. C’est bien la preuve que parfois le jansénisme est sournois, et que le goût du dard devient “symbolard” pour les éthers vagues.
Les deux auteurs, avec habileté, joignent à l’analyse littéraire leur propre vie, histoire de mettre à jour certaines réalités et de préciser la valeur de leurs prospectives et états d’âme eu égard aux lettres en général – genre romanesque compris. Cauda ne se prive pas de certains morceaux de bravoure pour faire leur sort à Aragon et Breton même s’il précise : “je n’ai jamais aimé Breton à l’exception de cette phrase : « On l’appelle à la Martinique la fleur de bal. » En face, Aragon, short blanc maillot rose, évoque ce lieu dans son Traité du style.
C’est ainsi chaque fois prolonger la critique littéraire par des précisions plus intimistes et torchées y compris ce “trou fleur de bal du Breton frelaté.” Dès lors, rien de mieux que les écrivains choisis dans ce livre jouissif contre le puritanisme honteux “qui s’entraîne dans l’impudeur d’un slip maculé” (au lecteur de savoir à qui nos histrions s’adressent…)
Briseurs parfois d’idoles et horlogers de montres à l’heure d’être ou d’été, ils ne sont jamais prélats pour honorer leurs autels mais beaucoup mieux pour grimper à leurs hôtels (de passes). Là où même certaines auteures se frottent le clitoris, l’attouchement est mieux décrit dans ce livre que dans certains ouvrages de référence et révérence gardée même là où les brave Bousquet et Bachelard ont mis le paquet. Ils ne sont pas en reste.
Mais surtout : suivez les guides du livre de ces deux auteurs : leur liste est longue et savoureuse pour comprendre les alchimistes de l’impur (ou non) à l’éclat de cristal avec Champagne pour tout le monde (il suffit qu’ils ou elles s’allongent).
jean-paul gavard-perret
Jacques Cauda Philippe Pichon , À sauts et à gambades, Ardavena Editions, Saint Malo, 2024, 360 p. — 18,00 €.