Jacques Cauda & Philippe Pichon, À sauts et à gambades

Les tiroirs des poly-chineurs

Deux amis à la mon­tagne et sur­tout à la Mon­taigne, fins du vin de messe en guise moins d’Introït que d’Ite missa est, rameutent via leur double écri­ture leurs admi­ra­tions poli­tiques et sur­tout tel­le­ment de réaux en lit­té­ra­ture. L’un tient le volant, l’autre la place des morts et des vivants mais, au besoin, les deux retirent des marées cages cer­tains bœufs lit­té­raires qui ne furent que crapauds.

Doués pur la polé­mique, ils sont des assas­sins fiers de res­ter spa­das­sins du lan­gage et pam­phlé­taires de beaux esprits approxi­ma­tifs. Ceux-ci — non comme les deux auteurs — s’encanaillent jadis ou aujourd’hui sous les jupes des jeunes filles (et cer­tains dans le slip des petits gar­çons).
Il y donc ici, on s’en doute, du Mau­riac, du Jean-Edern Hal­lier (dit le fou), jamais aca­riâtres chez de tels his­trions de la langue. Leur mérite est de pro­lon­ger la tra­di­tion des impré­ca­teurs aux traits veni­meux Cer­tains sont sau­vés et exemp­tés de soup­çons, d’autres plus équi­voques : Ara­gon, “la grande coquette nihi­lise” (il n’est pas le seul). Mais ils sont plus (ou presque) sau­vés : Alain Four­nier, Joë Bous­quet, Céline qui “compte infi­ni­ment plus que”, Colette “hédo­niste tra­gique”, Joseph Del­teil, Michel Houel­le­becq (proche de l’Ehpad lit­té­raire(…), Vio­lette Leduc, Pierre Lepère, Chris­tian Mil­lau, Patrick Modiano, Alber­tine Sar­ra­zin, Sime­non, Phi­lippe Sol­lers, Proust (sur­tout) et Cauda et Pichon par eux-mêmes.

Les incon­ve­nances sont débri­dées face aux belles âmes des beaux quar­tier où ils par­tagent leur lit pour oublier par­fois leur baraque à frites des pen­sées afin d’éjaculer de “magis­trales fadaises” une fois choses faites. La doci­lité de leurs diverses cour­ti­sa­ne­ries est aussi rap­pe­lée si néces­saire à de tels “bipèdes savan­tis­simes” qui rament pour réus­sir et jouent les proc­to­logues des lettres en divers trous.
D’où cette sorte d’opéra dégueu en un tra­vail à quatre mains d’orfèvres. Elles tor­tillent la répu­ta­tion de cer­tains fions. Et les deux auteurs nous ravissent de ce qui si sou­vent est tu au sujet de trop jolis cœurs face à l’indicible et au déses­poir tant, en eux, l’artiste chaud se cache.

Souvent, un auteur rêve d’idéal mais son envie de for­ni­quer est moins de se pré­ser­ver du mal­heur que d’y mettre quelques croix des­sus ou dans le cime­tière de la lit­té­ra­ture où les cadavres se rai­dissent. C’est bien la preuve que par­fois le jan­sé­nisme est sour­nois, et que le goût du dard devient “sym­bo­lard” pour les éthers vagues.
Les deux auteurs, avec habi­leté, joignent à l’analyse lit­té­raire leur propre vie, his­toire de mettre à jour cer­taines réa­li­tés et de pré­ci­ser la valeur de leurs pros­pec­tives et états d’âme eu égard aux lettres en géné­ral – genre roma­nesque com­pris. Cauda ne se prive pas de cer­tains mor­ceaux de bra­voure pour faire leur sort à Ara­gon et Bre­ton même s’il pré­cise : “je n’ai jamais aimé Bre­ton à l’exception de cette phrase : « On l’appelle à la Mar­ti­nique la fleur de bal. » En face, Ara­gon, short blanc maillot rose, évoque ce lieu dans son Traité du style.

C’est ainsi chaque fois pro­lon­ger la cri­tique lit­té­raire par des pré­ci­sions plus inti­mistes et tor­chées y com­pris ce “trou fleur de bal du Bre­ton fre­laté.” Dès lors, rien de mieux que les écri­vains choi­sis dans ce livre jouis­sif contre le puri­ta­nisme hon­teux “qui s’entraîne dans l’impudeur d’un slip maculé” (au lec­teur de savoir à qui nos his­trions s’adressent…)
Bri­seurs par­fois d’idoles et hor­lo­gers de montres à l’heure d’être ou d’été, ils ne sont jamais pré­lats pour hono­rer leurs autels mais beau­coup mieux pour grim­per à leurs hôtels (de passes). Là où même cer­taines auteures se frottent le cli­to­ris, l’attouchement est mieux décrit dans ce livre que dans cer­tains ouvrages de réfé­rence et révé­rence gar­dée même là où les brave Bous­quet et Bache­lard ont mis le paquet. Ils ne sont pas en reste.

Mais sur­tout : sui­vez les guides du livre de ces deux auteurs : leur liste est longue et savou­reuse pour com­prendre les alchi­mistes de l’impur (ou non) à l’éclat de cris­tal avec Cham­pagne pour tout le monde (il suf­fit qu’ils ou elles s’allongent).

jean-paul gavard-perret

Jacques Cauda Phi­lippe Pichon , À sauts et à gam­bades, Arda­vena Edi­tions, Saint Malo, 2024, 360 p. — 18,00 €.

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