Il est reproché aux enfants peu sages de manger leur pain blanc avant le noir. C’est du moins l’idée de Mabille qui fonctionne avec ceux qui croient voir là un péché de présomption. Mais c’est bien le contraire dans ce livre. Habile poète et faussement dilettante, il reprend un de ses tics ou exploits : des versions miniatures des listes de Mabille qui alimentent sa vie d’auteur de charme — comme il est de chanteurs du même genre mais pas seulement.
L’écrivain est en effet comme les crooners : constellés de femmes dont il ne se prive pas. Dès lors son titre, pourrait reprendre un des tout premiers des titres de Johnny Hallyday «Sentimental » (label Vogue).
Pour l’un comme l’autre, s’estimer sentimental n’est pas forcément égal même si un tel excès de faiblesse annonce une harmonie douteuse puisque chaque femme reste toujours irrattrapable ou que le présent se gaspille dans la fugitif. Reste ici une programmation de rendez-vous ratés, éphémères, pire même : oubliés. Mais l’auteur s’élève contre de telles prévarications sur l’avenir. Certes, il sait que de tout du passé il n’y a pas forcément de miracle mais Mabille se réconcilie toujours avec lui-même dans ce qu’il nomme ici “sa vie en résumé”.
C’est pourquoi, si le poète explore ses failles,c’est pour s’en amuser. De ses poèmes, un serpent pointe mais dans son venin est sagesse si (le si est important) le langage poétique est capable de le sortir de son hibernation.
Ecrire est donc l’écho d’une autre musique — un rien “sixtie” -, mais qui nécessite de persévérer dans l’inutile sans s’accorder (parfois) de circonstances atténuantes. Pas question pour autant de persévérer dans un nihilisme passif, une illusion d’optique. C’est aussi trouver une voie inconnue et qui n’a pas de nom. Du moins pas toujours – preuve que l’exil est dans le verbe.
jean-paul gavard-perret
Pierre Mabille, Sentimental, Editions Unes, Nice, 2024, 96 p. — 18,00 €.