Dorothée Coll, Tronches de vie

Cafard n’a home sweet home 

Telle une pou­pée de por­ce­laine, Doro­thée Coll n’hésite pas à explo­rer celles qui se brisent en des bouts de vie et de trot­toir. Par­fois gisent en appar­te­ments “des chaus­settes qui puent, un den­ti­frice pas rebou­ché ou la vais­selle qui est mal ran­gée.” mais sa pre­mière héroïne (enfin presque) est exas­pé­rée. Elle quitte pour un temps son “mec” en le gra­ti­fiant de mots aussi néces­saires qu’orduriers.

Après tout, ça ne mange pas de pain : “moi, j’en dis beau­coup de gros mots. J’aime vrai­ment ça : dire des gros mots. De ceux qui crous­tillent sous la dent et se plantent en éclat de verre dans les failles de celui d’en face.” dit-elle. Son beau-père non plus n’aime pas les gros mots, mais “C’est un con, mon beau-père.”, un sale vit-père. Elle règle ses compte en sor­tant de ce qu’elle fai­sait in petto : “un bras d’honneur et, dans ma tête, je le trai­tais de tous les noms quand il m’emmerdait.” Mais elle ose désor­mais le sale et le pourri. Elle maî­rise. Il y a de l’Edith Piaf jadis jeune fille qui devient celle d’aujourd’hui. Elle roule ses clopes, c’est son Karma.

Se suc­cède dans cet excellent livre une suite de scè­nettes là où l’auteure médite sur celles et ceux qui ne sont pas du genre à réflé­chir. Pour preuve, même dans le choix de celles qui nomment leur fille Josette sans être capables d’opter pour Jen­ni­fer ou Cindy, “un pré­nom à l’américaine”. Mal nom­mée la sus-dite ten­tera de s’en sor­tir et qui plus est émousse “légè­re­ment la pointe de ses seins comme cette pierre ponce natu­relle trou­vée sur la plage qu’elle pas­sait par­fois avec délice sur son buste pour en éprou­ver l’effet abra­sif, la grif­fure miné­rale.” Bref, c’est du nanan. Et vogue sa galère et son prince dont le charme ment.

Il y a là des femmes plus ou moins légères et de dou­teux châ­teaux en Espagne. Les hommes sont des phasmes néfastes. Et lorsqu’il deviennent des héros de telles nou­velles, ils sont des faibles, lâches “qui auraient vendu leur mère aux nazis au pre­mier ongle arra­ché.” D’autant qu’ils n’ont même pas d’endurance. Seule leur nul­lité crasse dis­tille et Per­nod et Ricard.
Dans cette série d’historiettes à l’acide muria­tique, beau­coup se demandent à quoi elles ou ils servent — sinon à rien ou en tant qu’objets indis­pen­sables eu égard leur inuti­lité. Mais ils ne voient pas for­cé­ment ce qui leur pose pro­blème et s’imaginent incon­tour­nables pour leur équi­libre improbable.

Tout pour­rait deve­nir déses­pé­ré­ment gro­tesque, mais l’auteure sauve les meubles (cad­dies com­pris). Et par­fois celles et ceux qui les uti­lisent. Elle reste donc à l’affût de toutes et tous d’une faune : Céline se réjoui­rait d’une telle copine lit­té­raire, ravi de croi­ser chez elle ou ailleurs per­ru­quiers et truands.
Ce livre reste donc celui des flot­te­ments mais notre maî­tresse des Coll tient le gou­ver­nail au besoin même sur les vagues d’un for­mi­dable cime­tière de che­veux. Pour elle, plus ques­tion de les cou­per en quatre. C’est l’équarissage au D.D.T. dans la rue ou à chaque étage.  Son chaos, cha­cun le tutoie plus assis dans un bar à basses entre deux chaises que dessus.

Exit toute uto­pie. Bien des tou­pies chan­cellent. Mais c’est en consé­quence, de ce monde inso­lite, que tout  devient ou plu­tôt deve­nait pos­sible : “C’est d’ailleurs, là, que se pro­dui­sit la bas­cule.”… Dès lors qu’une héroïne se nomme Josette ou Miranda, n’existe pas de pitié pour les crois­sants mais sur­tout pour les hommes. Voire un cafard n’a home qui lui va.

jean-paul gavard-perret

Doro­thée Coll, Tronches de vie, Edi­tions Douro, collec­tion La Bleu Tur­quin, 1er juin 2024, 110 p. — 15,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Erotisme, Nouvelles

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