Paul Bernard-Nouraud, Une histoire de l’art d’après Auschwitz — Figures disparates , vol. 1

Ce qui est arrivé

Comme Didi-Huberman, Paul Bernard-Nouraud — his­to­rien et théo­ri­cien de l’art, doc­teur en esthé­tique — entre­prend  de rééva­luer à l’aune d’Ausch­witz l’histoire de l’art anté­rieur à l’événement lui-même. On y découvre notam­ment qu’avec la peur du déluge et de la guerre, celle de la peste consti­tue l’un des fon­de­ments de l’art renais­sant et de l’ordre du dis­cer­ne­ment qu’il instaure.

En dépit des figures dis­pa­rates qui n’ont cessé pen­dant cinq siècles de per­tur­ber cet ordre, celui-ci ne céda véri­ta­ble­ment qu’après Ausch­witz, avec l’apparition mas­sive de figures dis­pa­rues. L’auteur s’intéresse à ce en quoi Ausch­witz a rompu les moda­li­tés tra­di­tion­nelles de repré­sen­ta­tion de la figure humaine héri­tée de la Renais­sance. Il pré­cise en plus com­ment elle s’est logée dans le dis­cours contemporain.

Cette His­toire de l’art d’après Ausch­witz et ses prin­ci­pales orien­ta­tions pro­pose une relec­ture cri­tique des fon­de­ments de la moder­nité artis­tique et une généa­lo­gie de l’art contem­po­rain. Cette vaste étude se veut donc aussi une contre-histoire de l’art.
De telles images sont donc néces­saires car elles enva­hissent notre espace men­tal et en quelque sorte le den­si­fient. Certes en plus belle, ou dans ce cas en plus hor­rible fille du monde, l’image ne peut don­ner que ce qu’elle a. Mais ce qu’elle montre ici n’est pas rien : d’une cer­taine manière elle nous retourne, nous rend tous cou­pables. Il est donc un peu facile et som­maire de vou­loir la bif­fer au nom du risque d’une com­plai­sante fas­ci­na­tion qu’elle peut faire courir.

A ce titre, si l’image ne peut dire ou mon­trer l’impensable, l’invisibilité de l’horreur, s’y fabrique tou­jours une repré­sen­ta­tion qui se veut fidèle à l’irreprésentable. L’image tra­duit du sens. Certes, il n’existe pas de moyen de se sous­traire à l’ambiguïté qui régit tout pro­to­cole de repré­sen­ta­tion, qu’il soit ico­nique ou lin­guis­tique. Tout se joue tou­jours dans la ten­ta­tive de par­ve­nir à dire, à tou­cher et atteindre le cœur et la rai­son — l’inconscient aussi -, entre l’interdit et la transgression.

jean-paul gavard-perret

Paul Bernard-Nouraud, Une his­toire de l’art d’après Ausch­witz — Figures dis­pa­rates , vol. 1, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2024, 632 p. — 30,00 €.

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