A l’origine et selon l’incipit de ce livre, une indication de Baudelaire annonce l’essentiel de l’objectif de Jacques Richard : « Et fuyez l’infini que vous portez en vous ». A priori, un signe se dessine en cette prose poétique : « La chambre où tu t’étends s’emboîte dans l’instant à celle où je t’attends. Cette chambre-là dort dans celle que je rêve. »
Pour autant, un doute subsiste. L’onirisme emporte l’auteur en un état second. Certes restent quelques indices : poils du chat et des livres. Mais à les ouvrir ils disent « l’âme petite » de l’amoureux transi qui devient plus un assassin en herbe tant il tricote à sa manière ce qu’on nomme petite mort (mais le sang coagule).
Reste néanmoins une possibilité de l’ « il ». Il suffit de rejoindre la mer pour construire à deux de mutuels châteaux en Espagne de l’amour. Rien n’y fait et va pour la cuisine. C’est là où mitonnent les mots du poète. L’aimée écoute celui qu’il caresse mais celui-ci entend le corps qu’il rêve de déshabiller et de porter ” aux nues” - l’expression est ambiguë.
Toutefois, entre un mixage de rêves et de cauchemars se concoctent le vertige de l’amour et son fleuve. A celui de la rieuse de plonger dedans. Mais la noyade est possible. Reste donc pour finir que les deux funambules marchent sur un fil. Quoique cherchant à y tenir, ils permettent de s’envoler depuis « le mur bleu du ciel » attaché à un clou. Le tout pour consolations, suppliques, évocations.
Les élucubrations quoique enchanteresses offrent au carpe diem une certaine étroitesse. Entre les poses des pêcheurs ou autres voyeurs habitués à des espaces nobles où s’ébrouent qui de droit, une autre possibilité d’une île (voir ci-dessus) reste la cause entendue. Certes, Richard s’escrime mais dans leur rythme d’amants, « ils boîtent à quatre jambes ». Finalement, c’est peu. Le surréalisme ici qui voudrait retrousser la femme comme la réalité. Mais bien que la première lui dise merci puisque rien n’est arrivé, l’une s’esclaffe, l’autre grogne même si les deux sont de belles personnes.
L’homme tient néanmoins la jambe à l’aimée. Il attend, l’autre sourit. L’un est le chat, l’autre la souris. Mais les mots qui semblent broder sur rien construisent un petit barrage. Peu à peu, tout serait possible aux lectrices, lecteurs et amoureux compris. L’ensemble laisse des soupirs, mais comment dans une telle théorie demander plus ?
Rappelons que l’amateur de l’amour fou, à défaut d’aujourd’hui, enfant a connu les ressorts du monde grâce aux élastiques et bretelles qui soutenaient déjà les plus belles poitrines. Leurs raisons sont légitimes pour qu’y naviguent ses mots quitte à « à tricher au whist. »
Mais Richard reste patient. Sous la surface de ses mots, là où tout est faux, existent le bon et le juste et qu’importe s’ils se perdent au fond de l’eau. Ses sphaignes aussi. Dans le creux de son crâne, elles font croître « l’ennui merveilleux ».
Dès lors, l’auteur a raison de Baudelaire. Ils auront cultivé « l’Inépuisable miséricorde du bâillement. ». Mais c’est avec de tels loustics que la poésie avance. Elle ne suinte pas d’air sombre. Elle tord l’horreur pour que celle-ci se plie de rire. Tout peut donc se boucler sans cultiver les soupirs.
jean-paul gavard-perret
Jacques Richard, Ecrit sous l’eau, avec six monotypes de l’auteur, L’herbe qui tremble, Billère, 2024, 102 p. — 16,00 €.