Fabien Grolleau & Anna Conzatti, Peindre avec les lions

Une autre vision de la Préhistoire

Le récit se situe quelque 36 000 ans avant notre ère, à l’époque où des clans de chasseurs-cueilleurs peu­plaient la terre. Il raconte le par­cours d’une femme pos­sé­dant un don, capable de per­ce­voir ce que les autres ne voient pas, de révé­ler la pré­sence des esprits. On prête à ceux-ci tout ce qui n’est pas expli­cable, c’est-à-dire énor­mé­ment de phé­no­mènes. Ils occupent une place pri­mor­diale dans la vie de ces humains, entre les esprits sou­ter­rains, malé­fiques à qui il ne faut pas per­mettre de sor­tir et les totems béné­fiques qui aident l’existence quotidienne.

Alors qu’une voix off rend hom­mage au sei­gneur de la forêt, qu’une main des­sine la sil­houette d’un ours, une ourse se réfu­gie dans une grotte pour hiber­ner en empor­tant une car­casse. Le récit débute au Pre­mier prin­temps quand un groupe de chas­seurs tue un renne. Un enfant arrive en cou­rant appe­lant Yul car Esmé, sa com­pagne, accouche. Mais l’enfant ne doit pas inter­rompre le rituel. En reve­nant, Yul ren­contre un trou­peau de bou­que­tins. Fort de cet évé­ne­ment qu’il raconte à la cha­mane du clan, elle bap­tise la nou­velle petite fille du nom d’Ellé, l’Entêtée.
Puis le récit reprend cinq ans plus tard, quand Yul ini­tie sa fille à l’existence des esprits avant qu’une grande céré­mo­nie fête les fillettes deve­nues femmes. Mais Ellé est un être rare dans le clan. Elle trace dans le vent et le sable et pos­sède la magie des signes. Elle part pour deve­nir une Traceuse…

Fabien Grol­leau et Anna Conzatti prennent en compte les tra­vaux récents qui montrent que les femmes n’étaient pas que des ventres assu­rant le peu­ple­ment, atten­dant pas­si­ve­ment le retour des chas­seurs. Cette des­crip­tion pas­séiste a été inven­tée au XIXe et XXe siècle quand les his­to­riens ont cal­qué sur la Pré­his­toire les sché­mas sociaux qu’ils avaient sous les yeux. Des décou­vertes récentes montrent que les femmes occu­paient une place essen­tielle dans toutes les acti­vi­tés, même la chasse, et qu’elles auraient inventé l’agriculture. Il est donc tout à fait rece­vable qu’elles soient les auteures des pein­tures rupestres.
Ce sont les envi­rons de la Grotte Chau­vet, en Ardèche, qui servent de décor prin­ci­pal à l’histoire. Mais, si l’information his­to­rique est impor­tante, le scé­na­riste ins­talle une intrigue intéressante.

Anna Conzatti s’est ins­pi­rée des éclai­rages nou­veaux pour ima­gi­ner sa mise en images. Avec un trait adouci pour évo­quer les visions des per­son­nages, leurs rêves ou cau­che­mars, avec un tracé tout en ron­deur elle offre une Pré­his­toire sans doute plus proche de la réa­lité que celle ima­gi­née par les scien­ti­fiques du passé. Avec sen­si­bi­lité et une belle maî­trise des cou­leurs, elle donne une vision fort plau­sible de cette période. De nom­breuses pages sans dia­logues per­mettent à la des­si­na­trice d’exprimer sa per­cep­tion struc­tu­rée de cette époque.
Fabien Grol­leau a sol­li­cité l’avis de la scien­ti­fique Mary­lène Patou-Mathis, autrice de L’homme pré­his­to­rique est aussi une femme (Allary — 202) pour suivre son pro­jet. Elle signe éga­le­ment une pré­face passionnante.

Un album éton­nant, d’une belle éru­di­tion sur les pein­tures rupestres, sur cette période si peu connue mais si fas­ci­nante. Si le récit est très docu­menté, la mise en scène est saisissante.

lire un extrait

serge per­raud

Fabien Grol­leau (scé­na­rio) & Anna Conzatti (des­sin et cou­leur), Peindre avec les lions, Dar­gaud, février 2024, 188 p. — 22,00 €.

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