L’œuvre de Vénus Khoury-Ghat reste — entre autres — une traversée du féminin. La noire sœur devient parfois une « sister mort fine », parfois un lieu qui reste troublant au sein même de la gémellité. Il y a là ce qui habituellement n’appartient qu’à l’univers érotique masculin.
Mais une telle créatrice. déplace les lignes, s’y ose parler de certains jeux exquis ou tout autant douloureux: “Tache d’effroi l’âme échappée du linge elle cherche un endroit où se poser (…) ; / tu déformes le monde pour le rendre conforme à ton incompréhension (…)
cercle vide tes bras autour de ses reins /il ne sait plus qui il était”.
Sous ses portraits cachés – autant sublimés que parfois implacables — se cache le secret de l’identification. Hommes, femmes restent aussi énigmatiques qu‘impudiques (parfois). Mais le plaisir n’est jamais offert en vrac et en prêt à consommer. La force centrifuge de la poésie et de ses assemblages de « vignettes » n’est pas là pour soulever du fantasme. Elle rappelle la fragilité de l’existence et les forces des désirs refoulés.
Vénus Khoury-Ghata mène plus loin la nudité selon des voies presque impénétrables. Reste toutefois encore un jardin des délices. Le désir est suggéré en des suites sans complaisance. Chez la créatrice, un érotisme particulier apparaît. Nous ne sommes plus dans l’ordre des fantômes de château de cartes érotiques. On ne joue plus avec des images qui ne seraient que des ancres jetées dans le sexe pour qu’on s’y arrime. Vénus Khoury-Ghata cherche moins l’éclat des « choses » visibles que l’éclat du vivant ou passé.
Le désir “enfermé” dans chaque vignette offre une autre “étendue”. Le regard n’en vient pas à bout. Le corps qui emporte le regard n’est plus celui de la béatitude exaltante. L’âme féminine apprend à se méfier de sa propre séduction. C’est plus par une vue de l’esprit que par la simple perception que l’artiste le suggère. Le « réalisme » ou plutôt la figuration rapproche inconsciemment d’un souffle de l’origine, de la « nuit sexuelle » (Quignard) qui tente, tant que faire se peut, de se respirer ailleurs que par ce qui est suggéré.
Les textes deviennent « les sanglots ardents » dont parlait Baudelaire. Un lien existe entre le sujet vu et celui qui le regarde. Mais cette connexion ne se prête pas à une lecture immédiate. Le corps est sans doute désirable, néanmoins aucune offensive n’est possible face à lui.
Le désir en est le sujet mais il n’est jamais réifié en objet. Vénus Khoury-Ghata réussit à trouver une sidération insécable de la désidérabilité.
jean-paul gavard-perret
Vénus Khoury-Ghata, Désarroi des âmes errantes, Mercure de France, Paris, 2024, 120 p. — 23,00 €.