Les premières pages surprennent quelque peu, l’auteure exposant sans retenue les fantasmes libidineux du héros qui, pour le début, est plus près de l’antihéros. Celui-ci, puisant dans sa propre existence, dans ses propres obsessions, trouve l’idée qui va lui permettre de se faire un maximum d’argent. La conception d’un logiciel pour mesurer, dans une entreprise, ceux qui présentent le plus de risque de passer au harcèlement auprès de leurs collègues féminines.
Ce logiciel met en relation ceux-ci avec des Soupapes, des femmes acceptant l’acte sexuel tout en restant anonyme. Et Joe a deux recrues de choix qui veulent gagner rapidement l’argent nécessaire à la reprise d’études.
Ces hommes deviennent plus malléables, plus concentrés sur leur travail, plus facilement ouverts à des rencontres amoureuses mieux apaisées. C’est un système de consommation sexuelle des femmes, qui trouve une convenance, étant inclus dans un contrat de travail. Le succès est retentissant, mais…
Joe, à trente-trois ans, est représentant de commerce à Eureka dans le Missouri. Il vend les trente volumes de l’Encyclopӕdia Britannica. Depuis six mois, il n’a pas placé un seul exemplaire et décide de changer. Il choisit de vendre des aspirateurs et déménage en Floride, dans un mobile home.
Il a des fantasmes. Il imagine, entre autres, le haut du corps d’une femme se trouvant d’un côté d’un mur alors que bas est caché. Si le haut est vêtu, le bas ne l’est pas pour l’homme qui est derrière elle. Et il se tripote. Mais ce n’est pas en restant couché qu’il va vendre. Il imagine, aussi, un jeu télévisé bien spécial, avec trois femmes…
Mais la première personne qu’il rencontre possède déjà cet aspirateur et en est très satisfaite. Elle l’a acheté juste après le passage de la tempête Edna qui a ravagé la région. Joe arrive après un autre vendeur qui a inondé le pays de ses produits. Il veut s’en sortir et pense à celui qui a identifié une catastrophe, cerné le problème de ceux qui étaient touchés et qui est arrivé en proposant une solution.
C’est dans la nuit que Joe a une idée originale pour lutter contre le harcèlement sexuel en entreprise par un système géré grâce à un logiciel dont il pose les bases…
Avec ce récit aussi irrévérencieux que drôle, l’auteure pousse jusqu’à l’absurde les moyens de gérer de façon scientifique des pulsions sexuelles masculines. La romancière le raconte avec un style rigoureux, clinique, sans états d’âmes, semble-t-il. Mais derrière l’ironie, Helen DeWitt tire à boulets rouges sur l’hypocrisie de cette société américaine puritaine, qui accepte toutes les infamies dès lors qu’elles restent cachées ou habillées d’un cadre légal.
De péripéties en péripéties, l’histoire aborde nombre de situations pour un cocktail explosif. Cependant, si la libido masculine semble être satisfaite de cette manière, elle laisse trop dans l’ombre celle des femmes, leurs désirs, leurs envies d’avoir un autre statut qu’être une soupape de sécurité.
Un roman atypique, drôle et grinçant, dont la lecture, par ailleurs fort intéressante, met en garde contre ce type de dérives.
serge perraud
Helen DeWitt, Soupapes & Cie (Lighning Rods) traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Le Bot, Le cherche midi, coll. “Roman étranger”, janvier 2024, 352 p. — 22,00 €.