Marcel Broodthaers est un artiste et poète belge, né le 28 janvier 1924 à Bruxelles et disparu le 28 janvier 1976 à Cologne. Il commence des études de chimie qu’il abandonne en 1943. La même année, il entre au Parti communiste puis en 1947 signe le tract « La Cause est entendue », à Paris, pour ouvrir, contre Breton, la voie de la dissidence des Surréalistes Révolutionnaires de France et de Belgique.
Il commence par publier plusieurs livres de poèmes : “Mon livre d’Ogre” (1957), “Minuit” (1960), “La Bête Noire” (1962), “Pense-Bête”(1964), le plus célèbre en tant qu’artiste et poète. Sa démarche prendra ensuite une tournure conceptuelle et critique avec “Les Casseroles de moules” (1965) et le “Département des aigles” (1968 — 1973), au musée d’art moderne imaginaire où cartes postales et caisses en bois vides tiennent lieu d’œuvres exposées.
Dans son Bestiaire n° III, Marcel Broodthaers, relit et détourne les Fables de Jean de la Fontaine. Il brouille la frontière entre humain et non-humain : « tout est emmêlement — la figure naïve de l’animal et la figure non innocente de l’homme », précise Jean Daive. S’y retrouvent : l’abîme, l’agneau, l’aigle, l’alcoolique, le banquier, le boeuf, l’huile et le vinaigre, la mer, le rhinocéros, etc.
Au départ (“L’abîme”), « Je parlais bas à la montagne. / Je ne pouvais pas plus sortir de ma peau qu’elle ne pouvait sortir de l’écorce terrestre. / Quelles étaient les paroles que je remuais aussi doucement ? /Il neigeait de la neige noire. », écrit le poète au moment où — des coups de foudre ou du hasard nés “de Père Mirage et de Mère Angoisse désespérée avec son cou de couleuvre.” - il parle de la mer seulement la nuit et ne réveille jamais le matin, “sinon le matin disparait pour toujours.” Mais plus que lui, l’autruche voit clair en elle-même bien que toutefois elle ignore que la lumière lui est fatale.
A l’inverse, le cancrelat d’humeur versatile “charge les oiseaux, la plupart des impressions d’enfance. Il charge le vent avec la brusquerie d’un dentiste qui attaque le mal à sa racine.” Tout petit, il fait lui-même de l’ombre et reste capable de manger les étoiles.
Néanmoins, le rhinocéros fait le poids : généralement taiseux, il se fait bavard “avec les couleurs, les sensations et tout ce qui les accompagne : sursaut d’odeurs de cuirs & de lessives, de pièces longtemps fermées puis ouvertes sur la poussière de ce qui est passé répandue sur les choses”.
L’ensemble devient un agglomérat de tout avec divers mouvements de mots et de temps. De fil en aiguille, le tissu du monde se désagrège sous la soie, les nuages et le plus délicat d’un tulle pour créer des illusions entre dinosaures et dessous chics. Le cliquetis est au zénith.
La poésie avance à bout de bras sur le vernis des toiles cirées, le velours du ciel mais surtout sur les pages du Bestiaire raturées de guingois pour grimper à la hauteur du non-sens le plus roboratif.
jean-paul gavard-perret
Marcel Broodthaers, Le Bestiaire n° III, présentations par Jean Daive & Maria Gilissen-Broodthaers, L’Atelier contemporain, Strasbourg, 15 mars 2024 — 30,00 €