L’objectif de Le Manque est presque démentiel : produire, chaque jour, un morceau mis en image et posté sur You Tube. Titres et clips frappent : « Dieu lave ses slips lui-même », «Jouir dans la mélancolie», « Nietzsche m’a tout piqué », «Redéfinir mes objectifs», « Vider des poulets » ou encore «Les autres, ça va bien 5 minutes»… Se comprend très vite ce que fomente le duo formé par le poète Christophe Esnault et le musicien Lionel Fondeville.
Ils se sont rencontrés au début du siècle à Chartres. La ville est calme : « elle bouge encore moins qu’un fossile » écrit le premier. Le nom de leur groupe est un hommage à une pièce de la dramaturge anglaise Sarah Kane qui s’est suicidée à 28 ans.
Les deux compères osent tout, ils vont vers la vie et la mort en leur « haiklip » où se croisent les mots de Kafka et de Joy Division pour souligner les illusions d’un monde fou et qui cultive la réussite comme son impossibilité :«Ca me ferait mal aux seins que mon gosse fasse mieux que moi/ / Échappe à tous mes fiascos sans problème et dans la joie / Tant de parents imaginent qu’ils ont pondu un vainqueur / C’est bien plus valorisant de mettre au point un loser»
Et dans le clip « Je veux un enfant » Fondeville déguisée en femme blonde nourrit Esnault de clous pour assurer l’échec d’un rejeton qui, au besoin et faute d’ambition, pourra rejoindre l’éducation nationale….
Ce qui ne veut pas dire que les deux garnements (même s’ils ne sont pas des perdreaux de l’année) renoncent aux désirs. Le contraire même. Les chansons en sont confîtes mais de manière insidieuse. Tout est tordu à l’image des tomates invendables pour cause de formes improbables entre la « toupie et le dinosaure ». Pourtant, non seulement elles sont délicieuses mais font réfléchir. Comme les chansons du groupe.
Ils appartiennent au registre improbable des « bands » farceurs qui comme « Le Beau Lac de Bâle » ou « Le Bonheur des dames » pratiquant l’humour corrosif que traduisent des titres comme « Merde à la Saint Valentin », « J’ai tout raté, même mon cancer », « Mourir à Chartres ». La mort comme les ratages sont tournés en hymnes corrosifs et dissidents.
jean-paul gavard-perret
Christophe Esnault & Lionel Fondeville, Le Manque, 20ème Fan, La Souterraine Editions, 2018.
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