Evangelia Kranioti, Obscuro Barroco

Evan­ge­lia Kra­nioti : être, ce devenir

Sous forme docu­men­taire, Obs­curo Bar­roco dépasse lar­ge­ment ce qu’un tel genre entend. Il devient une fic­tion (sou­vent plus juste que la pré­ten­due vérité du rap­port docu­men­ta­riste). La créa­trice ouvre le ver­tige inhé­rente à la quête de soi des « mar­gi­naux » : pauvres des fave­las ou déshé­ri­tés moraux du milieu trans­sexuel bré­si­lien. Rien pour autant de misé­ra­bi­liste. La méta­mor­phose du corps intime et social passe par­fois par le tra­ves­tis­se­ment, le car­na­val et la lutte poli­tique — et par­fois par des visions frac­tales rare­ment pro­pices aux pos­si­bi­li­tés de voyeu­risme, même si les images sont riches d’une beauté fas­ci­nante. Se suc­cèdent des plans apai­sants et/ou inquié­tants. Loin de toute démons­tra­tion le corps devient le ques­tion­ne­ment du « qui suis-je ? »
Fidèle à son titre, le film épouse un baroque inhé­rent aux êtres « doubles » et à la ville de Rio elle-même Les images en épousent détails et sur­charges tout en sachant par­fois offrir un clas­si­cisme aux por­traits. Une har­mo­nie demeure au sein de l’exubérance. Sous la joie appa­rente, la détresse est rare­ment absente là où néan­moins la vie per­dure. Les corps sont tou­jours là, prêts à plon­ger dans la vie pour ten­ter d’en jouir contre l’engloutissement pre­mier et « faussé ». Evan­ge­lia Kra­nioti en évoque le désir à tra­vers des plans ser­rés ou pano­ra­miques d’une séduc­tion qui tou­te­fois « tra­hissent » habi­le­ment les com­bats aussi poli­tique qu’intimes.

La cinéaste s’est inté­res­sée plus par­ti­cu­liè­re­ment à Luana Muniz, figure majeure du monde trans­sexuel bré­si­lien et qui a lutté jusqu’à sa mort à la recherche de son iden­tité réelle. Son corps est saisi dans sa sen­sua­lité mais la réa­li­sa­trice ne cache rien de la dif­fi­culté à deve­nir qui Munoz était réel­le­ment. Elle est mon­trée nue, offerte au regard pour se réin­ven­ter.
Celle qui dit « Je suis obs­cure à moi-même » trouve fina­le­ment son propre accès à l’être, sa propre vérité. L’œuvre pos­sède à ce titre une force rare : elle fait jaillir ce qui jusque là et encore reste sou­vent opaque.

jean-paul gavard-perret

Evan­ge­lia Kra­nioti, Obs­curo Bar­roco, 68e Ber­li­nale, février 2018, Berlin.

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