Quittant provisoirement le roman après les 4 tomes du Cycle sur Marie (il va reparaitre en octobre sous le titre M.M.M.M.), avec Made in China Jean-Philippe Toussaint publie un récit apparemment anecdotique sur le tournage en Chine du film The Honey Dress”(“La robe de miel”). Ce film reprend une scène du prologue de Nue où sa Marie créait une telle robe qui attirait les abeilles. Mais le livre dépasse l’objectif premier en devenant une sorte de roman et un essai sur la littérature.
Depuis le début du siècle, Toussaint a fait de multiples trajets en Chine Non seulement à Pékin et Shanghai mais — et grâce à Chen Tong son éditeur chinois rencontré d’abord à Bruxelles — à Guangzhou, Changsha, Nankin, Kunming, à Lijiang. L’éditeur, est aussi libraire, artiste, commissaire d’exposition et professeur aux Beaux-Arts. Dès lors, Made in China résonne comme un témoignage d’amitié au sein de ce tournage dans la Chine contemporaine.
Toutefois, l’auteur précise : « c’est le réel que je romance, il est indéniable que je romance ». Mais cela lui permet de dériver afin de présenter son regard sur ce pays au seul fuseau horaire et une réflexion sur la force de la fiction, l’importance du hasard dans la création comme dans l’existence. Le livre peut donc être compris comme la suite de L’Urgence et la Patience où l’auteur traitait Beckett comme un maître capable d’atteindre, au-delà du langage, ce qui se cache derrière. Pour Beckett comme pour Toussaint, le roman se situe au-delà de ses personnages et de la narration. C’est une question de langue.
Ce qui pouvait être compris comme un codicille aux quatre derniers romans est devenu bien plus : « je pensais d’abord faire le portrait de Chen Tong. Au début du livre, racontant une simple soirée avec lui, j’ai fait l’exercice d’y inclure toute l’histoire de notre relation » mais Toussaint est allé bien au-delà sans jamais tombé dans le récit de voyage ou de tournage. Existent la confrontation entre un « je » et un pays ». L’un se montre, l’autre se cache.
Le jeu du discours bifurque et permet de montrer combien il est mystérieux alors de s’envoler hors du nid, de laisser faire les gestes ignorés et de se laisser porter de personnalités provisoires aux émois particuliers. L’écriture en devient la trace. Au-delà de l’anxiété d’un chemin inconnu, c’est une manière de s’abandonner au dur désir de durer, de faire sans rien sacrifier à ce qui rend poreux aux forces d’un tel voyage.
A priori peu intéressé par l’orient, l’auteur est d’abord curieux au sens actif du terme. Il cherche sans cesse comment s’articulent les ressorts de la rencontre et de la création. C’est donc bien un écrivain curieux mais non des grandes bizarreries. Pénétrant dans la maison de l’être et de la création, il fait l’état des différentes pièces. Afin d’y pénétrer et pour faire la lumière, il se sert ici des commutateurs forains d’une façon inhabituelle.
jean-paul gavard-perret
Jean-Philippe Toussaint, Made in China, Editions de Minuit, Paris, 2017.
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