Annabel Aoun Blanco, Desvoilés (exposition)

Anna­bel Aoun Blanco : effa­ce­ments, disparitions

Avec les Dévoi­lés, l’image de l’être s’enfonce dans le blanc, devient un espace informe, aux parois indé­cises. Elle prend la cou­leur de la cer­velle là où le monde se fige en perte d’équilibre sous un jour faible. L’être glisse dans une blan­cheur sans mémoire ni espoir du soir. L’être finit par dis­pa­raître dans « le gris tout juste trans­pa­rent » qu’évoque « L’Innommable » de Beckett.
La plas­ti­cienne ramène à une expé­rience pri­mi­tive en absence de cou­leur. Le por­trait est traité en clair-obscur. Il vient don­ner une sur­face uni­forme au monde. Néan­moins, matière et cou­leur sont empreintes d’une poé­sie nou­velle. L’être se fait pré­sence si légère que c’est là comme la pré­sence de rien.

Anna­bel Aoun Blanco, en alchi­miste de l’image, trans­forme cette forme de boue en richesse. Elle se conforme à l’injonction lan­cée par Bau­de­laire : « Tu m’as donné la boue et j’en ai fait de l’or » en l’élevant au rang d’une “image-mère” d’où rien n’émerge.
Cette boue n’est plus sub­stance nour­ri­cière, elle ne recèle aucun germe de vie. La créa­trice la retient pour sa matière déli­ques­cente. Elle signi­fie ce qui reste de l’être et de ses inva­riants. L’Imaginaire ne vient plus mettre en forme le por­trait : il en sou­ligne la fuite irré­ver­sible vers un être sans être.

Mais au moment où l’image se dés­in­tègre sur­git une moda­lité construc­tive : il s’agit de mon­trer une muta­tion de l’histoire de la « per­sona » et de faire sur­gir son silence, son empê­che­ment par une nou­velle archéo­lo­gie du sujet voire son revi­re­ment. Sous la der­nière pous­sière, un rite par­ti­cu­lier de néant prend corps dans un lieu où ne demeure qu’un croire, voire un croire entre­voir.
A mesure que le visage dis­pa­raît, l’image devient plus forte. De sa présence-absence sur­git une den­sité vibra­toire pathé­tique, une réso­nance d’échos incon­nus jusque là. Tout l’univers se résume à une par­celle boueuse aussi éloi­gnée que pos­sible de la bulle de savon iri­des­cente et riche de reflets à la Vir­gi­nia Woolf. En sa mor­telle fée­rie, l’oeuvre ouvre non à une mul­tiple splen­deur, mais à un jamais vu capable d’esquisser un autre lan­gage, une autre portrait.

jean-paul gavard-perret

Anna­bel Aoun Blanco, Des­voi­lés, Gale­rie Eli­za­beth Cou­tu­rier, 10 sep­tembre — 9 octobre2016.

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