Aline Fournier crée un univers onirique particulier. Ses portraits de femmes sont empreints d’une douceur et une fragilité dégagée de tous voyeurisme dans tout un jeu de formes subtiles et charpentées. Dans ce que la photographe nomme « une perte sensorielle » revendiquée, les scénarisations créent des narrations particulières. Elles transcendent toujours la simple mécanique gymnique. Un secret demeure caché là où pourtant l’artiste propose une réelle communication sans la moindre provocation douteuse. La poésie simple et subtile joue à plein.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La possibilité de connaître chaque jour un nouveau challenge, de nouvelles opportunités, de faire de nouvelles rencontres et surtout de pouvoir créer.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Enfant, j’adorais inventer des univers et des personnages. Peut-être que les mises en scène actuelles en sont la continuité réelle.
A quoi avez-vous renoncé ?
À une certaine stabilité, à “rentrer dans le moule”.
D’où venez-vous ?
De la commune de Nendaz, en Valais (Suisse)
Qu’avez-vous reçu en dot ?
J’ai avant tout reçu une éducation dure mais respectueuse des vraies valeurs. Je suis infiniment reconnaissante envers mes parents pour cela.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Toute vie sociale durant une certaine période.
Un petit plaisir — quotidien ou non :
Au quotidien, mon premier café du matin. De manière plus générale, ce que la nature nous offre quand nous prenons le temps d’observer.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Etant devenue malentendante suite à une méningite à l’âge de trois ans, j’ai toujours évolué dans une sorte d’univers parallèle à mes camarades avec beaucoup de recul et donc d’interrogations sur la société. J’ai probablement également développé davantage ma vision, notamment dans la profondeur, pour tenter de récupérer les informations qui échappent à mon ouïe.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela ?
Le travail de David Lachapelle.
Quelle première lecture vous marqua ?
“Aline” de Charles-Ferdinand Ramuz. Un livre brut de décoffrage sur une réalité pas si lointaine.
Où travaillez-vous et comment ?
Je travaille à la fois sur le terrain (repérage, prises de vue) et devant mon ordinateur (préparation des prises de vue, travail de postproduction, administratif et promotionnel) La flexibilité est un facteur indispensable puisque tout dépend des saisons, de la météo, ainsi que de la disponibilité des intervenants. Actuellement je tente de photographier le plus souvent possible à l’étranger dès que les finances le permettent. Ainsi je rencontre de nouvelles personnes avec des habitudes et des points de vue différents mais également de nouveaux paysages, ce qui ravive mon inspiration. En 2012 je suis allée à Berlin, Milan, Porto et Stockholm. L’année passée en Bretagne et à New-York. Ce fut à chaque fois de magnifiques expériences malgré l’important travail logistique en amont que cela implique.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Etant donné que seuls mes appareils auditifs me permettent d’entendre un peu les sons, j’écoute essentiellement de l’industriel allemand et de l’électronique qui sonne agréablement à mes oreilles. Parfois, certaines musiques arrivent à me surprendre et j’adore ça. Dernièrement j’ai eu la chance de pouvoir participer en tant que photographe à l’élaboration du nouveau CD de la chanteuse Sylvie Bourban à New-York et d’en suivre la réalisation, de la répétition aux studios, instruments par instruments. Ce fut extrêmement enrichissant.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“1984” de Georges Orwell. Une piqûre de rappel.
Quel film vous fait pleurer ?
Etant très sensible j’évite les films sans “happy end” même si ce n’est pas très courageux.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un. Je n’accorde pas beaucoup d’importance à mon aspect physique.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je n’arrive pas à écrire à de potentiels clients pour promouvoir mon travail même si cela est indispensable en tant qu’indépendant.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
New-York. Une ville inspirante et remplie d’opportunités. En trois semaines j’ai pu construire un réseau plus important qu’en une année en Suisse.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Les artistes qui fonctionnent au cynisme et au 37ème degré.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Pouvoir passer du bon temps avec les gens que j’aime dans un chalet à la montagne.
Que défendez-vous ?
Un retour à de vraies valeurs humaines mêlant respect et qualité. Celles que la société nous vend actuellement via les médias de masse conduisent dans un mur.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
C’est quoi ça, l’Amour?
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?”
C’est une bonne question. Ou pas.
Pour connaître le travail de l’artiste : voir le site Lafouinographe
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 12 janvier 2014.