Winston Churchill, Mes grands contemporains / Christian Destremau, Churchill et la France

Winston Churchill, Mes grands contemporains / Christian Destremau, Churchill et la France

Deux fois plus de Churchill

Les articles de Churchill réunis dans Mes grands contemporains sont nourris, pour la plupart, d’observations personnelles, et relèvent de trois catégories : l’hommage aux défunts – Herbert Henry Asquith, le maréchal Foch, Lawrence d’Arabie… -, les portraits d’écrivains ou d’artistes allant de G.B. Shaw à Charlie Chaplin, et l’évocation de “contemporains“ proprement dits, qui étaient encore en activité au moment de la première publication, tels Trotski, Roosevelt ou Hitler.
En écrivant sur les figures du passé, Churchill manifeste un esprit d’historien sachant combiner le détail bien choisi et la vision d’ensemble, l’admiration et le recul critique. Ses portraits de Foch, de l’empereur Guillaume II et de Clemenceau sont à mon sens les plus brillants, à la fois par leur éloquence et par le condensé d’analyse historique qu’ils contiennent. Lorsqu’il passe au domaine des arts et des lettres, Churchill se révèle – inévitablement, serait-on tenté de penser – moins compétent, mais pas moins intéressant à lire : son portrait de G.B. Shaw en “bouffon“ est l’une des surprises les plus savoureuses du volume. Quant à celui de Chaplin, quelque peu mièvre, et où nous apprenons que Charlie avait “l’ambition“ de jouer Napoléon, on y voit plus clair en lisant l’ouvrage de Christian Destremau qui nous révèle (p. 138) que Winston souhaitait écrire pour Chaplin un scénario sur Bonaparte, en 1929.

A propos des hommes politiques toujours actifs lors de la parution initiale des articles, Churchill apparaît précautionneux dans son portrait de Roosevelt, et étonnamment optimiste dans ses prévisions (datant de 1935) concernant Hitler qu’il imagine devenir plus modéré. Ce qui ne l’empêche pas de décrire la situation en Allemagne en toute lucidité, et en précisant que “les camps de concentration pullulent“ (p. 226). Avec la même lucidité, il évoque la révolution et le régime soviétiques dans l’article sur Trotski, qui nous démontre que l’auteur voyait clairement la nature totalitaire de l’URSS dès 1929.

Les hasards du calendrier font de Churchill et la France de Christian Destremau un complément bienvenu de Mes grands contemporains, ne serait-ce que pour mieux comprendre le point de vue de Winston sur Clemenceau et Foch. L’historien a le mérite de présenter les liens de Churchill avec notre pays – qui remontent à l’enfance – dans toute leur complexité, notamment lorsqu’il explique son attitude avant l’entrée de l’Angleterre dans la Première Guerre mondiale, ou les variations de son attitude lors de la Seconde.
Le chapitre 11 nous offre d’irrésistibles échantillons du français de Winston, apocryphes ou authentiques, dont ce trait, adressé au général de Gaulle qui lui reprochait de le retenir “prisonnier“ et de songer à l’exiler dans l’île de Man, en 1943 : “Non, mon général, pour vous, très distingué (sic), toujours la Tower of London.“ A propos du Général, je déplore l’antipathie aussi prononcée qu’injuste avec laquelle Destremau le traite à tout propos, le présentant comme insupportable (pp. 317, 324-325) et allant jusqu’à faire un commentaire sur les statues parisiennes de Churchill et de De Gaulle (p. 347) pour étayer l’idée que Winston serait plus humain ! (L’auteur nous révèle au passage son mauvais goût en matière de statuaire.) Mais cette préférence outrancière pour un grand homme au détriment de l’autre n’empêche pas l’ouvrage de Destremau d’être, dans son ensemble, très instructif et agréable à lire.

agathe de lastyns

– Winston Churchill, Mes grands contemporains, traduction de l’anglais remaniée et annotée par Antoine Capet, Tallandier, janvier 2017, 286 p. – 20,90 €
– Christian Destremau, Churchill et la France, Perrin/Ministère de la Défense, 2017, 404 p. – 24,00 €.

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