Thierry Lentz, Le congrès de Vienne. Une refondation de l’Europe, 1814-1815

Thierry Lentz, Le congrès de Vienne. Une refondation de l’Europe, 1814-1815

Le diplomate n’est-il pas aussi un homme du monde ?

Lire Thierry Lentz est toujours un plaisir. Sa capacité à rendre vivant le récit et claires les informations coexiste avec une rigueur scientifique des plus irréprochables. On n’est donc nullement déçu par la lecture du dernier ouvrage de cet historien prolifique, consacré au congrès de Vienne qui liquide l’épopée napoléonienne et inaugure un monde nouveau. Beaucoup moins connue par le grand public que le congrès de Paris de 1919 (et que le traité de Versailles qui en est issu), la grande réunion de Vienne a pourtant accouché d’un nouveau système international qui a donné un siècle de paix à l’Europe. C’est une raison suffisante pour s’y intéresser de près.

I
l existe deux façons d’aborder le congrès de Vienne. La première se limite des questions internationales qui y furent débattues. Leur complexité (pensons au problème de la réorganisation territoriale des Etats allemands et du statut de l’Allemagne) comme la multiplicité des positions des différentes délégations forment un mélange susceptible d’assommer rapidement le lecteur. La seconde, plus facile d’accès, se limite à la vie dans les coulisses, aux descriptions des mondanités, aux récits croustillants des amusements d’alcôves ; en un mot, à ce que le congrès a de plus superficiel, mais pas pour autant de moins inintéressant. Le diplomate n’est-il pas aussi un homme du monde ?
L’étude de Thierry Lentz est une remarquable synthèse des deux. En évitant de se perdre dans les détails de certaines négociations ardues, il donne à ses analyses une accessibilité dont beaucoup de lecteurs lui sauront gré. Les enjeux de chaque question sont exposés avec clarté. On pense notamment à celles de la Pologne et de la Saxe, inextricablement liées et qui ont failli provoquer la rupture du congrès. Mais dans le même temps, l’étude de la vie dans les coulisses nous permet de saisir l’importance des mondanités, des conversations de salons et des liens personnels, parfois très intimes, tissés entre les protagonistes.

Les portraits tracés sont toujours savoureux, tirés des témoignages des contemporains et du sens de la formule de l’auteur. Le lecteur français retrouve avec plaisir la figure hors du commun de Talleyrand qui joue – affirmons-le sans chauvinisme exacerbé – un rôle indéniable dans les négociations, avant que les Cent Jours ne viennent quelque peu ternir son étoile. Toutefois, Thierry Lentz rappelle la place centrale qu’occupent l’Autrichien Metternich et le Britannique Castlereagh dans la redéfinition de l’Europe (la capacité des Anglais à défendre leurs intérêts avec pragmatisme et habileté ressort tout au long du livre).
Car c’est bien de cela dont il s’agit. Ce congrès a créé une Europe. Celle de l’équilibre et du concert européen, celle bénéficiant d’un mécanisme de résolution des crises qui a fonctionné peu ou prou jusqu’en 1914, celle des élites aristocratiques qui finiront par être bousculées par l’émergence des nations et de la démocratie.

frederic le moal

Thierry Lentz, Le congrès de Vienne. Une refondation de l’Europe, 1814-1815, Perrin, janvier 2013, 385 p.
– 24 €

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