Pierre Bordage, Chroniques des Ombres
Avec la Guerre Froide, la multiplication des moyens sophistiqués, et efficaces, pour tuer massivement des populations en laissant des territoires dévastés, la Science-Fiction a eu matière à développer des visions post cataclysmiques. C’est dans ce courant que s’inscrit le nouveau livre de Pierre Bordage, avec une approche inventive et innovante. Un qui récit a été écrit pour une parution en feuilleton en trente-six épisodes, à raison de trois par semaine, pendant l’été 2013, sur Internet.
Dans NyLoPa, la Cité Unifiée qui regroupe New York, Londres et Paris, Ganesh Parvati vient de terminer sa formation de fouineur et va recevoir une bio puce analytique. Il deviendra un super détective, une machine organique boostée par les propriétés des nanotechnologies, au sein d’une confrérie très fermée. Naja, du clan du Pégase, paraît bien moins que ses vingt ans. Pourtant, hormis sa maigreur, elle n’a pas les malformations de ceux qui vivent dans le Pays horcite. Sous la bulle qui protège NyLoPa, une vague de meurtres incompréhensibles mobilise les fouineurs qui, malgré leurs capacités ne trouvent pas le moindre indice. Pourtant, l’assassinat presque simultané de centaines de personnes demande des moyens importants. Le clan de Naja est attaqué par une armée de mercenaires qui se font appeler les Cavaliers de l’Apocalypse. Elle peut fuir le massacre, mais est suivie par un tueur. Alors que celui-ci va la violer, il est tué par Deux Lunes, un jeune guérisseur qui, ce faisant, rompt le pacte de neutralité qu’il avait juré de respecter.
Commence une fuite éperdue du couple pour survivre, alors que Ganesh doit mobiliser toutes ses facultés pour tenter de trouver les coupables. Mais, les fouineurs entraînés dans un imbroglio de complots et de luttes pour le pouvoir, vont devoir quitter leur enceinte préservée pour aller dans le Pays horsite, lieu de tous les dangers…
L’auteur pose, en concept de base, une dichotomie. D’une part, des cités unifiées où vivent ceux qui sont abrités de toutes les radiations et autres saloperies laissées par la guerre, d’autre part les descendants de ceux qui sont restés à l’extérieur. Il réussit, à merveille, à proposer une cohérence dans la désorganisation de la société et dans la reconstruction qu’en font les survivants avec ce qui subsiste. La présentation est si dynamique, l’auteur l’expose avec tant de réalisme qu’on ne se pose pas la question de la construction d’un ensemble tel que les Cités Unifiées.
Pierre Bordage professe une grande tendresse pour l’Homme, pour ce qu’il est, pour son acharnement à survivre dans les pires conditions. Mais, il reste hostile à toute tentative pour annihiler la liberté de chacun, opposé à toute prise de pouvoir sur le libre arbitre des individus. Parallèlement, dans ses livres, ce romancier hors normes, mène une réflexion approfondie sur la nature humaine, sur les pulsions qui mènent certains hommes à vivre en état de guerre permanent, à ne songer qu’à leurs misérables et dérisoires intérêts. Il reste, cependant, sans illusions sur une possibilité de paix sur Terre, mais veut croire qu’une minorité peut agir pour adoucir les souffrances d’un plus grand nombre.
L’anticipation est un art difficile pour l’auteur qui veut rester cohérent dans sa fiction, trouver le juste équilibre entre une probabilité d’évolution, tant des hommes que des situations, et une imagination qui peut pousser à des « excès ». Pierre Bordage excelle dans cet exercice, à la manière de G.-J. Arnaud avec la superbe fresque de La Compagnie des glaces, pour utiliser les connaissances d’aujourd’hui et en faire la réalité de demain. Chroniques des Ombres est à la fois un magnifique roman d’aventures, d’anticipation, une parabole philosophique de haute tenue et un constat pertinent sur une probabilité d’évolution de la société.
serge perraud
Pierre Bordage, Chroniques des Ombres, Au diable vauvert, octobre 2013, 756 p. – 23,00 €.
