Michel Legrand & Stéphane Lerouge, J’ai le regret de vous dire oui

Michel Legrand & Stéphane Lerouge, J’ai le regret de vous dire oui

Des mémoires au vitriol

Voici un livre propre à démentir l’adage selon lequel la musique adoucit des mœurs. Les mémoires de Michel Legrand, coécrits avec Stéphane Lerouge, sont faits pour les amateurs de médisances, de règlements de comptes et de piques. Qu’il s’agisse de la productrice Mag Bodard, ridiculisée pour l’habitude de consulter son chauffeur (p. 133), d’Yves Montand présenté comme porté à l’inceste et convaincu que tout père l’est (p. 160), de Claude Nougaro dépeint en ivrogne des plus pénibles (p. 180), ou même d’amis de Legrand tels que Folon, Sempé et Moretti, dont on nous apprend qu’ils ne pouvaient pas se souffrir (p. 203), nul ou presque des personnages célèbres qui défilent au gré des pages n’échappe au trait assassin du musicien. Quant aux confrères, Pierre Boulez s’attire, en guise d’hommage funèbre, tout un chapitre revanchard où l’auteur en vient à le comparer à un (mauvais) violoniste des rues.
Il va de soi que les cinéastes pour lesquels Legrand a écrit de la musique ne sont pas portés aux nues non plus, le point de vue d’ensemble du compositeur correspondant à l’idée que le destin d’un film dépend essentiellement de lui, pas du réalisateur ni du producteur (p. 229). Legrand en est si bien convaincu qu’il raconte, sans se douter de son ridicule, comment il a failli monter sur scène avec Jacques Demy, pour recevoir la Palme d’or attribuée aux Parapluies de Cherbourg, et comment il s’est senti “crucifié“ quand le cinéaste l’en a empêché (p. 139). Gare à qui s’est permis d’être mécontent de son travail, comme Losey et Melville – le premier se retrouve décrit comme une bête hurlante, et le second, carrément traité de “manipulateur pervers“ (p. 291).

Le livre étant volumineux, on en arrive à la surdose de médisances et d’égotisme nettement avant de l’avoir achevé. Par ailleurs, le texte abonde en formules incongrues et maladroites (sont-elles dues à Legrand ou à Lerouge ? allez savoir), telles que : “ce qui me met dans la position envieuse du chouchou“ (p. 31), “un zozotement spectaculaire“ (p. 32), “je bordure les vingt ans“ (p. 61), “la salle nous accueille de manière glaciaire“ (p. 70), “une magnifique manière de coudre l’amitié“ (p. 122), “l’entreprise se révèle hirsute“ (p. 157), “profiter pleinement de ses dernières cartouches de jeunesse“ (p. 173), “Serions-nous plusieurs roues enchaînées les unes aux autres ?“ (p. 199), ou “je suis vermoulu“ (p. 228).
On avait une meilleure image de Michel Legrand avant de lire ses mémoires.

agathe de lastyns

Michel Legrand, Stéphane Lerouge, J’ai le regret de vous dire oui, Fayard, septembre 2018, 366 p. – 24,50 €.

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