Véronique Bergen, Clandestine

Bondage et autres folies cou­tu­mières : des enfers au Paradis

Le corps nu de la nar­ra­trice en exhi­bi­tion impose en théo­rie le silence. Mais de fait, c’est bien le contraire. Car si ses paroles chutent de ses lèvres, elles embrochent un seul astre qui la musèle sans rompre ce spectacle-roman. « L’animalité du silence » ché­rit donc autant l’exhibition que des pho­to­gra­phies induites par l’écriture intime.
Pour preuve, l’ “appa­reil photo guide mes rep­ta­tions, oriente mes pos­tures », par­fois tel un « lynx affolé dans une forêt dévas­tée ». Mais l’Histoire jadis de l’horreur y rampe aussi.

Le spec­tacle est total, Véro­nique Ber­gen en devient pan­thère des neiges qui au besoin abuse de ses bon­dages avec celles et ceux qui l’accompagnent et qui veulent autant l’immobiliser que déco­rer sa bouche et son corps. Le but à atteindre, c’est pho­to­gra­phier ses pen­sées et orien­ter ses mises en scène et ordon­ner cam­brure, cru­ci­fixion, génu­flexion de son corps en un zoo éro­tique.
Mais il n’est pas le seul. Le bes­tiaire est total. La nar­ra­trice au besoin feint de bou­der : mais c’est un piège. Celui de l’Histoire. Sous ses armures de cordes, elle fronde les dieux mas­sa­creurs, la lumière des incen­dies. L’écriture vagit dans les limbes, congé­die des Muses pour ral­lu­mer le désir et l’élan créa­teur. Mais, en paral­lèle, elle rap­pelle ce qui au siècle der­nier fut celui de la vague exterminatrice.

Véro­nique Ber­gen devient  néan­moins un mythe. Sa sen­sua­lité d’icône excen­trique est  « chair et Idéal, pro­vo­ca­tion et égo­cen­trisme, magné­tisme et vir­tuo­sité des ins­tincts ». La voici catin et vamp, reine des nuits pour notre plai­sir en rameu­tant La Gou­lue, Jane Avril, Kiki de Mont­par­nasse, Edie Sed­wick et les égé­ries de Fou­jita, Modi­gliani, Man Ray, Renoir, etc. Le tout his­toire de musar­der dans ses pen­sées et de rompre ses rêve­ries. Il y a là des contor­sions, des mou­ve­ments du bas­sin sans robe inutile même si son idée rap­pelle « la robe de mariage que, dans mon enfance, ma mère a pié­ti­née une après-midi». Mais il exis­tait pire.

Certes, une prise de vues « pho­to­nise les scènes qui vont dis­pa­raître, la fuite du temps, le grand bor­del des heures qui tré­passent dans sa rétine folle de sou­ve­nirs. » Le champ éro­tique est immense de celle qui rampe, s’abreuve au dérai­son­nable, aux tiraille­ments de son bas-ventre, et de ses envies. Sous l’objectif, la ligo­tée « glisse la tige d’une rose entre mes lèvres. »
Mais ce n’est qu’un début. Reje­tée, elle s’appartient au-delà de la mariée de Duchamp. Tout devient dans ce roman pos­sible. Les mots dansent avec l’auteure qui « se contente de coas­ser « rési­lience », de cra­pau­di­ner « plus jamais ça », elle roule sur des podiums, se pavane sur des tapis ».

Tout se trans­forme et fas­cine, laisse le lec­teur aba­sourdi et sonné par-delà les des­truc­tions his­to­riques de Var­so­vie ou ailleurs. Leurs morts sont refer­mées. Véro­nique Ber­gen récrit ce qui res­tait avant des lignes der­nières. Ses sou­ve­nirs hissent et inventent LE regard. Il est là, le voici dans un tel châ­teau de Cène qu’évoquait à sa façon Ber­nard Noël. Mais bien plus.
Res­tent extase et déli­vrance. Même les amants demeu­re­ront tout compte fait acces­soires. Le bon­dage sul­pi­cien devient ainsi la clé, le lieu du lieu, la beauté des com­po­si­tions « aux variantes, au voca­bu­laire des nœuds ». « Je car­bure avant tout à l’envol, béa­ti­tude de mon corps pri­son­nier », ajoute l’auteure. Les cor­dons ombi­li­caux empêchent de se perdre et de som­brer dans le vide. Ce sont une deuxième peau, « un pare-chocs phy­sique et sen­ti­men­tal ». Tout alors est prêt pour la pres­ti­di­gi­ta­trice des mots et de la vie. Exit les pogroms sécu­laires, les ghet­tos médiévaux.

Mais l’existence est ailleurs : l’auteure met à mal les his­toires hor­ribles des Juifs mar­tyrs des ghet­tos de jadis. Ex abrupto, voire en paral­lèle à la nudi­tas (cri­mi­na­lis ?),  l’histoire col­lec­tive prend place face à celle qui s’ose et fas­cine. Néan­moins, ayant mon­tré la Shoah,  sur­git  la beauté de l’Agile. Com­ment rêver de plus ou de mieux  par  sa vue  ?
Impul­sive, voici son tour à attendre. Après les années ter­ribles, se donne le spec­tacle de l’intime “ité” . Une alliance s’y crée, sa dureté déra­cine. Espé­rons qu’après les enfers, voici son paradis.

jean-paul gavard-perret

Véro­nique Ber­gen, Clan­des­tine, Edi­tions Lami­roy, 2024, 292 p.- 25,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Erotisme, Romans

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