Jean-Luc Fromental & Bernard Yslaire, La neige était sale

Une rédemp­tion est-elle possible ?

Avant 1929, Georges Sime­non publie deux cents romans sous dix-sept pseu­do­nymes. Entre cette année et 1972, il publie cent-quatre-vingt-douze livres, des épi­sodes, des enquêtes de Mai­gret et cent dix-sept romans qu’il appe­lait durs. La neige était sale, qui appar­tient à cette der­nière caté­go­rie, est paru en sep­tembre 1948 aux Presses de la Cité.
Il est alors aux États-Unis depuis trois ans. Il a pris le large parce que sa fièvre des voyages ne s’est pas cal­mée après ces années de claus­tra­tion dues à la guerre, mais aussi parce que sa situa­tion pen­dant l’Occupation n’a pas été très nette.

L’action se déroule pen­dant l’occupation d’une armée étran­gère dans une petite ville dont on ne sait rien de plus. Frank Fried­maier, à 17 ans, fré­quente le bar Timo, un bor­del. Son ami, un peu plus âgé, a tué un nou­vel homme la semaine der­nière. Ce soir, il raconte qu’il a étran­glé une fille, mais que cela aurait été plus facile de la tuer avec le poi­gnard qu’il exhibe, qu’on vient de lui remettre. Frank lui demande de lui prê­ter juste un petit moment et il va égor­ger un ser­gent de l’armée d’occupation et lui prend son révol­ver.
Il rejoint l’appartement de sa mère qui sert de mai­son close, passe devant la porte du loge­ment où habite Sissy et son père. Cette jeune fille est amou­reuse de lui, mais il reste indif­fé­rent.
Il va alors se lan­cer par ennui, par bra­vade dans des com­bines qui vont l’amener à tuer. Mais il atten­dra le comble de l’ignominie quand…

Le choix de pla­cer l’intrigue sur fond d’Occupation fait écho aux ques­tions morales aux­quelles le roman­cier a été confronté pen­dant la Seconde Guerre mon­diale. La mort de son frère aîné en Indo­chine en jan­vier 1948, tué lors d’une embus­cade du Viet-Minh a été éga­le­ment un fait déclen­cheur. L’attitude de celui-ci, ayant été encore plus ambi­guë que la sienne, l’avait amené à s’engager dans la Légion étran­gère.
C’est là un texte sur lequel l’auteur a appa­rem­ment bien peiné. En effet, s’il ne ne consacre jamais plus de dix jours à l’écriture d’un roman, il a besoin de trois semaines pour venir à bout de celui-ci.

Jean-Luc Fro­men­tal réécrit ce texte par­ti­cu­liè­re­ment pois­seux pour en faire une magni­fique adap­ta­tion en bande des­si­née. Il res­ti­tue à la fois le cli­mat fié­vreux, noir et gla­cial et donne une puis­sance nar­ra­tive à cet anti­hé­ros qui semble déta­ché, indif­fé­rent à ce qu’il fait, ce qu’il vit, ayant une exis­tence luxueuse par rap­port au reste de la popu­la­tion.
Le des­sin de Ber­nard Yslaire est, comme ce que pro­pose ce créa­teur, d’une beauté mar­quante. Il met en scène une gale­rie de per­son­nages sin­gu­liers et recrée l’atmosphère délé­tère du milieu où évo­lue le pro­ta­go­niste prin­ci­pal. Mariant avec effi­ca­cité des ombres noires, des lumières bla­fardes por­tées par une gamme de cou­leurs gri­sées, il met en images cette ambiance lourde qui réhausse l’intrigue dans la scé­lé­ra­tesse. Il donne des décors sous la neige de toute beauté, de magni­fiques détails sur les usten­siles en usage à cette époque comme le seau à char­bon, et place Sime­non dans deux vignettes.

Après Le pas­sa­ger du Pola­rys (2023), les Édi­tions Dar­gaud pour­suivent la publi­ca­tion de romans durs de Georges Sime­non. La neige était sale est une réus­site totale tant pour ce gra­phisme excep­tion­nel que pour son adaptation.

lire un extrait

serge per­raud

Jean-Luc Fro­men­tal (scé­na­rio adapté du roman de Georges Sime­non au titre épo­nyme) & Ber­nard Yslaire (des­sin et cou­leur), La neige était sale, Dar­gaud, coll. “Sime­non — Les romans durs”, jan­vier 2024, 104 p. — 23,50 €.

 

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