Marc Pessin — Une civilisation oubliée (exposition)

Graveur et naturaliste

Marc Pes­sin, gra­veur célèbre a accom­pa­gné tant de pres­ti­gieux poètes dans sa tra­ver­sée de vie, il se vou­lait « natu­ra­liste ».  Mais entre le gra­veur et le natu­ra­liste, il n’y a qu’un pas — celui qui fait pas­ser du livre-papier cou­vert d’incisions gra­phiques au grand livre de la nature. Dans l’un comme dans l’autre, Marc Pes­sin n’a cesse de per­pé­tuer un mou­ve­ment d’ouverture de la poé­sie avec l’espace.

Les expo­si­tions d’Evian  per­mettent  de com­prendre le phé­no­mène de la créa­tion au sein d’un espace creusé (aux divers sens du terme) par un geste qui les ras­semble tous : celui de la gra­vure et de l’empreinte. En un tra­vail émi­nem­ment poreux, mul­tiple  Marc Pes­sin a percé des che­mins à tra­vers la matière comme à tra­vers l’avenir.
La racine du « per » de ce per­çage fut impor­tant puisqu’il marque encore la per­ma­nence de l’humain comme être au monde dans sa capa­cité d’ouvrir l’espace, le temps, ses lieux d’être ou plu­tôt d’existence.

En des oeuvres par­faites dans leur accom­plis­se­ment (mais on sait que la gra­vure ne tolère pas l’imperfection), la pré­sence de l’être est ouvert au monde par l’espace (feuille de papier ou pay­sage). Mais c’est parce que le graveur-naturaliste (et on com­prend alors l’importance de lier ces deux déno­mi­na­tions) devient  capable de créer  le « là-bas » qu’il est à même de les traverser.

Toute­fois, afin d’aller « là-bas » il faut, et Pes­sin l’a com­pris, y être déjà. Il faut que ce « là-bas » (qu’il soit l’oeuvre ou le monde) se com­prenne sous l’horizon de notre pré­sence ouverte et ouvrante. Pour l’artiste, un schème sub-spatial sous-tend en consé­quence l’espace de nos tra­ver­sées, de nos signes et de nos écri­tures.
En cha­cune de ses créa­tions s’ouvre un champ d’omniprésence que, à sa façon, Robert Delau­nay avait pres­senti en par­lant de “simul­ta­néisme”. Pour Pes­sin, l’ouverture au monde — et quels qu’en soient les moyeux artis­tiques ou scrip­tu­raux  — fut conçue comme une simul­ta­néité de pro­fon­deur “de l’éclaircie”.

Pour le gra­veur de Saint Laurent du Pont, être au monde reve­nait à le situer en puis­sance d’un espace qu’il créa « à sa main » pour  pra­ti­quer  le  « maniable ». La main du gra­veur était donc arti­cu­lée et arti­cu­lante. La parole l’était aussi. Et c’est pour­quoi mains et paroles n’ont pas eu sim­ple­ment affaire à la même spa­tia­lité :  l’artiste inter­vint à leur char­nière  dans le rythme même de son ima­gi­naire et de son activité.

Il reste  donc autant natu­ra­liste que gra­veur. Il « marque » comme aux fers ce lieu dans divers jeux de lignes qui sou­vent excluent le sys­tème des réfé­rences « hors-champs ». Notre hori­zon et notre pay­sage inté­rieur se trans­forment par une sorte de muta­tions de lignes en leurs ali­gne­ments aussi rec­ti­lignes que souples et de divers moments de foca­li­sa­tion.
Chaque oeuvre de Pes­sin reste à ce titre un foyer d’ouverture — élé­ment fon­da­men­tal de son art plas­tique qu’il met au ser­vice par­fois au ser­vice d’autres « signes ». Dans le « coeur de l’écrit » le gra­veur sou­ligne ainsi l’espace qui déter­mine les séquences poé­tiques afin de les por­ter à un niveau supé­rieur de plé­ni­tude. Il arti­cule donc bien la parole poé­tique à l’espace d’ouverture du « là » à tra­vers ses gra­vures et ses empreintes.

L’artiste refonda ainsi l’imaginaire poé­tique et fonda sans doute l’originaire. C’est en quoi il demeure bien « natu­ra­liste » mais  gra­veur au plus haut point de sa maîtrise.

jean-paul gavard-perret

Marc Pes­sin — Une civi­li­sa­tion oubliée, Gale­rie 29 à Evian ainsi qu’à la Média­thèque Charles Fer­di­nand Ramuz. du 16 février 2024 au 1er juin 2024.

 

1 Comment

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One Response to Marc Pessin — Une civilisation oubliée (exposition)

  1. Villeneuve

    Au Centre de l’Imaginaire et la Créa­tion à l’université de Savoie Marc Pes­sin fut le roi incon­testé . JPGP le sait et l’exprime au plus que par­fait . Nature et gra­vure se répondent . Hom­mage au sacre de ces 2 talents !

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