Quand deux maîtres de la littérature victorienne…
Plutôt qu’un roman policier, ce livre relève du roman d’énigmes, avec un “s” car les auteurs ne se sont pas privés d’en enchaîner.
En novembre 1835, à dix heures du soir, une femme attend devant l’Hospice des Enfants trouvés, à Londres. Une jeune femme en sort. Elle la suit, l’aborde, se présente comme la malheureuse mère d’un enfant confié récemment à l’établissement. Elle veut savoir quel nom lui a été donné. La bonne d’enfants finit par lâcher : Walter Wilding.
Ce dimanche d’octobre 1847, dans le même hospice, une dame voilée se fait désigner, après des supplications, celui qui s’appelle Walter Wilding.
En 1861, aux caves Wilding & Cie, le nouveau propriétaire discute avec son homme de loi. Enfant de l’Hospice, il a été adopté et sa mère lui a acheté l’entreprise où il travaillait. Morte depuis peu, il vient de s’associer avec un autre employé, veut faire de cette entreprise une grande famille et recruter une femme de charge pour remplacer sa mère dans la gestion de la maison.
Mais Mme Goldstraw , qu’il vient d’embaucher, va lui faire une terrible révélation. C’est un autre Walter Wilding qui était le fils légitime. Il veut alors retrouver l’héritier légal, mais les recherches sont difficiles et il se retrouve dans une voie sans issue. La mort le surprend et il confie à son associé le soin de poursuivre cette quête…
Le roman est écrit à quatre mains entre Charles Dickens et Wilkie Collins, deux écrivains installés dans le paysage littéraire. Le premier a déjà fait paraître les romans qui ont fait date comme Oliver Twist, David Copperfield, le second La Femme en blanc, qui lui a apporté une belle renommée. Voie sans issue (No Thoroughfare) est paru dans le numéro de Noël 1867 de la revue All the Year Round, propriété de Dickens. Si ce dernier a recruté Collins, leurs rapports ont évolué et, devenus amis, ils ne font plus rien l’un sans l’autre, allant à partager quasiment tout.
Ils réunissent tous les ingrédients pour un roman à énigmes réussi. Ils rapprochent le sort des enfants abandonnés, des mystères sur les identités sachant que la pratique était courante de donner le nom, à un garçon qui entrait à l’hospice, d’un enfant sorti pour être adopté. Ils poursuivent avec une enquête pour retrouver une personne disparue, des voies sans issue, une histoire d’amour contrariée par un personnage énigmatique, un escroc qui n’hésite pas devant le crime. Et les romanciers en rajoutent avec de la fraude, du vol, des drames…
Ils font découvrir une galerie de personnages avec des individus pétris de bonté, voire de naïveté, d’autres pratiquant l’infamie.
Un roman à découvrir, fruit d’une collaboration entre deux écrivains importants de l’époque. C’est l’année suivante que Wilkie Collins publiera La Pierre de lune, livre considéré comme le premier roman policier de la littérature anglaise.
serge perraud
Charles Dickens & Wilkie Collins, Voie sans issue (No Thoroughfare), traduit de l’anglais par Mme Judith, revue et complétée par Marie-Louise Ripamonti, Éditions 10/18, coll. “Polar”, octobre 2023, 192 p. — 6,90 €.