Jean-Claude Bélégou, La Muse

Contre-Vox

Le tour de ” vice” de Bélé­gou est celui d’un fin limier : “Quoiqu’on fasse, quelle que soit la volonté d’inventer une fic­tion, un film est tou­jours le docu­men­taire de son propre tour­nage.”, cite-t-il à pro­pos d’A. Ber­gala.
Mais le pho­to­graphe par essence crée donc un pacte avec la poé­sie de l’image ani­mée. En reviennent quelques frag­ments en forme de rose. Le miracle en trou nor­mand a donc eu lieu. Ou plu­tôt une mira­cu­lée : femme, modèle, amante et (sur­tout pour l’artiste) Muse…

Tourné à la fin de l’été 2023, La Muse est un film en longs plans séquence, pour la plus grande part en plans fixes et lumière natu­relle. La jeune femme, inter­pré­tée par Chloé Lin­dau, incarne l’archétype du modèle d’artiste. Mais il s’agit dans le même temps d’un por­trait minu­tieux, d’où l’importance accor­dée au Visage.
D’où le double enjeu d’un tel tra­vail : “Por­trait ciné­ma­to­gra­phique intro­duit par un pro­logue filmé sur la côte nor­mande, ponc­tué de séances de poses, d’apparitions noc­turnes fan­tas­ma­tiques, le film a laissé une large marge d’improvisation au moment du tour­nage.”, pré­cise Bélégou.

Para­doxa­le­ment, l’artiste n’apparaît jamais direc­te­ment. Tout est impli­ci­te­ment sug­géré par la voix, les bruits des dépla­ce­ments, les ins­tants des res­pi­ra­tions, l’apparition des mains. Mais habile séduc­trice presque per­verse par volonté, Chloé Lin­dau crée “les regards caméra de la comé­dienne.“
De plus, le texte est un jour­nal de tra­vail d’artiste, ins­tan­tané et témoi­gnage sur le pro­ces­sus de créa­tion lu en voix off par la comé­dienne. Il est issu des années 1980/85 entre la pre­mière expo­si­tion (Empreintes/Traces) et l’esquisse du Mani­feste Noir Limite. Ce sont alors les années fon­da­trices de l’œuvre. Un son direct s’y mêle par ins­tants. Par ailleurs, le film pos­sède une large part autobiographique.

Chaque frag­ment devient un glis­se­ment pro­gres­sif sous le souffle de la femme dans des espaces du pos­sible désir et l’espoir du jouir. En ce sens, le texte résonne comme une invo­ca­tion, une prière détour­née, une manière d’anticiper ce qui pour­rait arri­ver. Il s’agit du tou­cher plu­tôt que de tou­cher en une sorte de rite, d’autant qu’un tel texte prouve com­bien il n’existe pas d’avènement de l’amour sans un sens du rite plus ou moins pro­grammé.
On com­prend com­bien Bélé­gou n’a d’yeux et dieu que pour La Muse au moment où le monologue-hommage devient la néces­saire ruine de la parole opé­ra­tique au pro­fit d’une parole opéra à tra­vers des images qui ouvrent à tous les sens pos­sibles plu­tôt que leur matière même. La cui­rasse du silence et des bruits fait jaillir les bat­te­ments de coeur et répondent à la ques­tion cen­trale : “Est ce que vous savez, vous, ce que c’est que l’Amour?”

On se sou­vient alors d’un des plus beaux poèmes de la langue fran­çaise :
”- Mais n’allais-tu pas me tou­cher?
— J’aimerais être à qui le des­tin réserve vos secrets”.
Il faut ima­gi­ner Bélé­gou en Mal­larmé et sa Muse en Héro­diade, aussi sym­bo­lique que pul­peuse en ses charmes magi­ciens. La femme et l’homme sont “affec­tés” dif­fé­rem­ment mais enva­his du même mouvement.

A eux deux, la double face de la défaillance au centre d’un trouble schi­zo­phré­nique. Il sera son cri, le cri rompu du silence lorsqu’il jouira en elle. Elle est dans la césure — comme elle est dans le centre. D’un côté l’irréductible des­truc­tion du centre, de l’autre le trop de corps. Le tout dans un seul espoir : que l’actrice efface les mots de l’artiste car ils ne sont que la rela­tion anti­ci­pée vers la pos­si­bi­lité du silence.
De fait, le texte l’appelle avant que la femme se moque (éven­tuel­le­ment — sait-on jamais…) du créa­teur d’un tel envoi et lui assène à l’occasion par inter­mit­tence un : “Par­donne lui, mon dieu, il ne sait pas ce qu’il dit”.

jean-paul gavard-perret

Jean-Claude Bélé­gou, La Muse, 2023, https://www.belegou.org

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Chapeau bas, cinéma, Erotisme

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>