Une adaptation spectaculaire !
Après l’admirable adaptation de L’Enfer de Dante, les deux auteurs récidivent et proposent la mise en image d’un autre pilier de la littérature, à savoir Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantès. Ce livre est considéré comme l’un des romans les plus importants de la littérature mondiale et vu comme le premier roman moderne.
Cervantès l’aurait conçu lors de son incarcération à la prison de droit commun de Séville, en 1597. Sa rédaction demande de longues années. L’œuvre paraît en deux parties, la première en 1605, la seconde en 1615. Ce personnage, à la cervelle dérangée par la lecture de trop de romans de chevalerie, allait conquérir le monde.
Un couple d’aubergistes, assis dans une charrette, progresse sous la chaleur. L’homme boirait bien un peu du vin qu’il rapporte. Son épouse s’y oppose, il se désaltérera à la source du petit cimetière tout proche. C’est en cherchant un pot pour emporter de l’eau que l’homme trouve la tombe de Don Alonzo Quizano, un individu qui lui a causé bien du tort. Survient le curé qui s’offusque des propos tenus par le couple et leur raconte l’histoire de ce personnage. Celui-ci s’imagine chevalier. Il est parti pour un grand destin, faire régner la justice dans le pays, défendre la veuve et l’orphelin, sur un pauvre cheval qu’il baptise Rossinante. Il rencontre une paysanne dont il fait Dulcinée Del Toboro, sa dame de cœur pour qui il va vivre des aventures exaltantes.
C’est alors la suite des péripéties désastreuses, l’adoubement par un aubergiste, la défense d’un pauvre valet. Après la rossée par un groupe de marchands, il est sauvé par ce paysan dont il va faire son écuyer, l’assaut contre les moulins à vent, etc. Cervantès confronte son héros aux manipulations des enchanteurs qui déforment la réalité qu’il perçoit, mais qui lui permettent d’expliquer ses échecs.
Ce livre est à la fois un roman de chevalerie et un roman de l’époque moderne qui émerge. C’est également une parodie des mœurs médiévales, de l’idéal chevaleresque et une critique des structures sociales d’une société espagnole rigide. On découvre également un récit comique, une satire sociale doublée d’une analyse politique.
Paul et Gaëtan Brizzi, à la lecture de ses mésaventures, le trouvent de plus en plus attachant. Ils vont, en respectant à la lettre l’esprit du texte, le traiter un peu moins mal que son créateur. Celui-ci, en effet, ne lui fait à aucun moment maîtriser la situation où il le place.
Outre ces planches en noir et blanc avec tous les dégradés de gris qu’autorise cette technique, les frères Brizzi introduisent quelques pages en couleurs pour identifier certaines scènes. Ils donnent à voir une épopée extraordinaire, rendant l’atmosphère qui régnait à cette époque. Ils montrent avec brio les élucubrations du héros ou, selon les avis, de l’antihéros.
C’est une magnifique adaptation à laquelle ils convient les lecteurs, adaptation qui fait le pendant au texte original, enrichi par l’éclat visuel qu’ils apportent. Ces planches en noir et blanc interpellent le regard, un mode de dessin bien galvaudé mais qui, ici, retrouve ses lettres de noblesse.
Un beau volume à mettre sous les sapins pour la qualité de l’illustration, pour la perspicacité de cette adaptation, pour les réflexions qui sourdent de cette histoire.
serge perraud
Paul & Gaëtan Brizzi (adaptation d’après l’œuvre de Cervantès, dessins et couleurs), Don Quichotte de la Manche, Éditions Daniel Maghen, novembre 2023, 200p. — 29,00 €.