SandrineLit EtRature et les histoires d’amour — entretien avec La Lectrice (mais pas que)

Jusqu’ici ces entre­tiens ont fait la part belle aux écri­vains et artistes. Mais ont été omis celles et ceux qui font que leurs textes ne sont pas lettres mortes et leurs images des fan­tômes : à savoir, lec­trices et lec­teurs. San­drine Lefevre (aka San­dri­ne­Lit EtRa­ture) va ouvrir cette nou­velle étape.
Biblio­thé­caire, elle assure des chro­niques lit­té­raires à la radio. Tout a débuté lors de sa ren­contre ado­les­cente avec A La recherche du temps perdu. Elle s’est me pas­sion­née pour l’hôtel des Roches Noires à Trou­ville, à — et en consé­quence– Mar­gue­rite Duras, la lit­té­ra­ture du XVIIIe et du XIXe siècle, Sten­dhal, Fran­çoise Sagan, George Sand. Elle rédige des textes sur le sen­ti­ment amou­reux, réa­lise des col­la­bo­ra­tions artis­tiques avec peintres, pho­to­graphes et plasticiens.

Ses propres textes sont une source de fas­ci­na­tion. Elle reste la pion­nière d’une idée ori­gi­nale de la lec­trice comme du lec­teur. Elle ne cherche pas la renom­mée, cultive même la dis­cré­tion et une forme d’anonymat même dans Trou­ville, son lieu d’âme et de coeur.
Ajou­tons que son Face­book per­met de décou­vrir tout ce qu’elle déniche, sou­tient, éprouve ainsi que ses pho­to­gra­phies. Et gageons qu’elle rece­vra bien­tôt la lettre d’amour qui ne s’écrit pas mais dont quelque part l’encre est déjà en train de sécher.

 Entretien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le plai­sir d’être en vie, de sen­tir mon cœur battre. J’éprouve cette vérité d’être pré­sente au monde, de sor­tir des bras déli­cieux, lan­gou­reux de Mor­phée, je regarde par la fenêtre, l’ouvre, ce spec­tacle est sai­sis­sant. Je res­pire le temps, le vent, sa caresse sur mon visage, la pluie cer­tains jours, le soleil à d’autres moments et c’est un sou­la­ge­ment, un plai­sir incom­men­su­rable, une joie même. Je peux res­ter long­temps ainsi, à éprou­ver l’instant, à en avoir conscience.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils sont tou­jours en moi, ils me guident. Quelles que soient les années qui passent, per­dure cette vérité que mon exis­tence per­dra de sa saveur, de son audace, de son authen­ti­cité si je les oublie !

A quoi avez-vous renoncé ?
À la ciga­rette. Plus sérieu­se­ment, à écrire des son­nets. Pen­dant très long­temps, j’ai cher­ché la forme par­faite avec des rimes embras­sées pré­ci­sé­ment, cette expres­sion est d’ailleurs très jolie n’est-ce pas ? Puis, j’ai décou­vert la prose et la poé­sie contem­po­raine pour expri­mer le sen­ti­ment amou­reux, « embrasé ».

D’où venez-vous ?
De toutes les biblio­thèques où j’ai lu des tonnes de livres, dès mon enfance jusqu’à aujourd’hui. Ce sont des endroits for­mi­dables où l’imaginaire se déve­loppe, s’exalte ! La Biblio­thèque publique d’information du Centre Pom­pi­dou, André Mal­raux, la BNF rue Riche­lieu, L’Heure Joyeuse. La biblio­thèque Maza­rine aussi.

Qu’avez-vous reçu en “héri­tage” ?
La puis­sance des lieux, leurs his­toires, leurs sou­ve­nirs. Je suis enra­ci­née dans plu­sieurs endroits. J’aime en être proche, y retour­ner inlas­sa­ble­ment. j’ai un atta­che­ment très fort à Trou­ville par mes séjours de vacances près des Roches Noires depuis très long­temps et avec la lec­ture des romans de Mar­gue­rite Duras, de Mar­cel Proust. L’amour de la cam­pagne vibre en moi aussi comme les terres de George Sand à Nohant. Sources d’inspirations pour cette femme, elles résonnent par le lien que j’ai avec ses livres, avec sa cor­res­pon­dance et avec cette his­toire de ma vie, de mes ori­gines. Je suis une femme de la terre et de la mer.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Oui, le plai­sir est essen­tiel pour décou­vrir l’expression de la vie en soi. Il a beau­coup à nous apprendre et il ne s’oppose pas au bon­heur, il le com­pose même. Alors oui, de manière quo­ti­dienne, cela peut prendre plu­sieurs formes. Lire de la poé­sie, celle de par exemple de Mar­ce­line Desbordes-Valmore, Renée Vivien, Anna de Noailles, lire des romans, À la recherche du temps perdu, Pas­cal Qui­gnard, Colette, Chan­tal Tho­mas, regar­der un film, Fran­çois Truf­faut, Les deux anglaises et le conti­nent, Éric Roh­mer, Ma nuit chez Maud, Le genou de Claire ou encore Les nuits de la pleine lune. Com­ment ne pas être tou­chée par le cinéma ? Par la vie des per­son­nages, par leurs pré­oc­cu­pa­tions, par leurs illu­sions, leurs désirs ? Et bien sûr, écrire tous les jours, c’est un rendez-vous d’amour. Se lais­ser sur­prendre par les mots qui naissent, se déploient. Cette pul­sion de vie ouvre un espace de liberté remar­quable. Éros flam­boie, c’est le cœur de mon écri­ture. Le sen­ti­ment amou­reux pré­do­mine, emporte tout.

Com­ment définiriez-vous votre approche de l’art et de la lit­té­ra­ture ?
Aller dans le texte, dans la ponc­tua­tion, dans la chair des images, des repré­sen­ta­tions pour l’incorporer. S’engager corps et âme.

Quelle influence les théo­ries lit­té­raires (ou plas­tiques) ont sur lui ?
Le lan­gage poé­tique vibre dans mon ins­pi­ra­tion, dans mon tra­vail. Les œuvres roman­tiques me touchent terriblement.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Le film Crin-Blanc vu à l’école élé­men­taire. La liberté de cet enfant, de ce che­val, la beauté des pay­sages ont su faire naître des émo­tions que je porte encore.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Des albums du Père cas­tor, les contes, la mytho­lo­gie grecque, les illus­tra­tions de Ben­ja­min Rabier. Puis des docu­men­taires :  je me sou­viens de cette col­lec­tion de cou­leur rouge chez Hachette avec ce titre fabu­leux : Au temps des Romains qui m’a fait per­ce­voir comme la lec­ture pou­vait faire rêver, fan­tas­mer, déve­lop­per l’imaginaire, le rêve, ouvrir à la connais­sance, répondre à la curio­sité, l’intensifier.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Énor­mé­ment de baroque ita­lien, Mon­te­verdi, Per­go­lèse, Scar­latti et du rock depuis tou­jours, Les Rol­ling Stones, Patti Smith, Marianne Fai­th­full, PJ Har­vey, Sioux­sie, The Kills, The Strokes, The white stripes, The Liber­tines, Damon Albarn et beau­coup d’électro, Miss Kit­tin, Ellen Allien, Jen­ni­fer Car­dini, Irene Drésel.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Les yeux bleux, che­veux noirs” de Mar­gue­rite Duras. Pour la mer, pour l’amour, pour l’amour de la mer.

Quel film vous fait pleu­rer ? “Por­trait de la jeune fille en feu” de Céline Sciamma.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une femme aux che­veux longs, mys­té­rieuse, grande amou­reuse de la lit­té­ra­ture, sou­cieuse de son époque.

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À la chan­teuse Bar­bara. Je me sou­viens du moment où j’ai appris sa mort, de ce que je fai­sais exac­te­ment. J’étais bou­le­ver­sée. Dès l’adolescence, ses chan­sons ont accom­pa­gné mon exis­tence. J’ai entendu “L’aigle noir” à la radio, très jeune. Et j’ai décou­vert sa dis­co­gra­phie, son talent, sa beauté. Ce matin, j’ai écouté « Une petite cantate ».

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le musée de la vie romantique.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Ceux et celles qui uti­lisent le style épis­to­laire pour dire les sen­ti­ments, les décla­rer, les faire vivre ! J’aime aussi la liberté de Fran­çoise Sagan dont la vie hors norme m’a long­temps fas­ci­née. Je pense à ce roman : “Ecris-moi vite et longuement”.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une lettre d’amour.

Que défendez-vous ?
La vie des femmes artistes si long­temps effa­cée de l’histoire.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Cela peut arri­ver. La ren­contre amou­reuse se joue a deux si je puis dire, c’est préférable.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
J’aime beau­coup cette ouver­ture que pro­pose de répondre oui, avec cette grande liberté qu’elle amène. Comme celle de dire non aussi natu­rel­le­ment. Tout cela dépend de qui pose la question…

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Quelle est ma devise, selon le ques­tion­naire de Mar­cel Proust ? Je vous répon­drais alors cher Jean-Paul avec les mots de Vir­gile : “Omnia vin­cit amor et nos ceda­mus amori ” dans Les Buc­co­liques X, 69. « l’Amour triomphe de tout ; nous aussi, plions devant l’Amour ».

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 19 novembre 2023,

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