Jordi Lafebre, Je suis leur silence

Un silence… étourdissant…

Eva est per­chée sur un immeuble d’où elle domine Bar­ce­lone. Llull, un psy­chiatre comme elle, tente de la faire des­cendre pour reprendre la séance. Elle est chez son confrère pour une éva­lua­tion en vue de retrou­ver la licence pro­fes­sion­nelle qui lui a été reti­rée. Après avoir demandé si elle boit, se drogue, il sou­haite qu’elle raconte sa semaine dans l’ordre chro­no­lo­gique.
Le lundi, en sor­tant de chez lui, dépri­mée, comme toutes ses patientes ajoute-t-elle, elle s’achète des chaus­sures et quelques bri­coles. Comme il sou­ligne que celles qu’elle a aux pieds sont jolies, elle pré­cise que ce n’est pas celles a acquises. Elles sont aux mains de la police à cause du cadavre.
Elle déve­loppe son récit, l’appel télé­pho­nique de Péné­lope Mon­turós qui l’invite à la lec­ture du tes­ta­ment de sa grand-mère, la ren­contre des dif­fé­rents membres de cette famille qui a fait for­tune grâce à ses vignes pen­dant la période fran­quiste. Et com­ment elle a été entraî­née dans une affaire de meurtre, soup­çon­née car étant poten­tiel­le­ment la der­nière per­sonne à avoir vu le défunt…

Avec Eva Rojas, 34 ans, Jordi Lafebre pro­pose une peu com­mune héroïne dont on découvre la richesse de carac­tère, toute la désin­vol­ture et l’audace au cours du récit. C’est une jeune femme qui avait com­mencé des études pour deve­nir une brillante chi­rur­gienne avant d’obliquer, par force, vers la psy­chia­trie. Si elle se com­porte avec légè­reté, elle affronte la réa­lité et les situa­tions dif­fi­ciles avec pug­na­cité. Elle fume beau­coup, consomme de grosses quan­tité de Cava, ce vin pétillant fabri­qué en Cata­logne. Elle est  “assis­tée” par trois femmes dont elle se sou­vient, qui lui appa­raissent pour faire part de leur opi­nion quant à une déci­sion, une approche de situa­tion. Il s’agit de sa grand-mère, de sa grand-tante et d’une mili­cienne. Elle est aussi hyper­ac­tive.
Le choix nar­ra­tif retenu par Jordi Lafebre est ori­gi­nal et se laisse décou­vrir avec atten­tion. Si le récit se déroule dans le cabi­net du psy­chiatre où Eva raconte les dif­fé­rents évé­ne­ments qui ont cadencé sa semaine, le scé­na­riste dévoile ceux-ci et des faits anté­rieurs rela­tifs à la vie per­son­nelle de l’héroïne. Le tout est coor­donné avec cohé­rence.
Il fait por­ter ce récit par un groupe de per­son­nages aux pro­fils tra­vaillés, bien dans leur rôle.

Le gra­phisme dont il assure des­sin et cou­leur béné­fi­cie de son trait léger, opé­rant, pour cam­per des pro­ta­go­nistes expres­sifs au pos­sible tant dans les mimiques que dans les atti­tudes. Les cou­leurs pas­tels ren­forcent ce ton léger mal­gré les hor­reurs pro­fé­rées par cer­tains. Mais l’auteur n’hésite pas à pro­po­ser des méchants sous une appa­rence de gen­tils, de sou­riants, jusqu’au moment fatal. Il ne tombe pas dans la cari­ca­ture hol­ly­woo­dienne qui veut que les mau­vais aient des faciès pas pos­sibles.
Un récit pre­nant, d’une belle tenue, avec une intrigue en ten­sion jusqu’au dénoue­ment, avec une remar­quable mise en images.

lire un extrait

serge per­raud

Jordi Lafebre (scé­na­rio, des­sin et cou­leur), Je suis leur silence, Dar­gaud, octobre 2023, 112 p. — 19,99 €.

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