Georges de Rivas, Aletheia

Contem­pla­tion har­mo­nique du Silence recréé

Si « le silence sou­vent de pure inno­cence per­suade quand la parole échoue » (Sha­kes­peare), la poé­sie lyrique, la plus musi­cale de toutes les paroles, la plus silen­cieuse de toutes les musiques, ne serait-elle cepen­dant la plus apte à expri­mer, au seuil infi­ni­ment silen­cieux d’une splen­deur à l’état pur, le reflet de celle-ci ?

Un reflet qui serait d’abord une offrande, la louange d’un Visage Infini où s’engloutit toute parole comme une goutte d’eau dans l’océan du connaître absolu. Poète face à la Divi­nité, Georges de Rivas est aux pieds d’ « Ale­theia », (inti­tulé de son der­nier recueil paru aux édi­tions Uni­cité), per­son­ni­fiant la Vérité trans­cen­dant les hommes, « la parole magico-religieuse » « intem­po­relle » (Heidegger),

« Une langue sacrée rêvée par le silence et lan­gée par la voix des anges !

Une langue levée dans les dia­prures de l’aube qui nous soit l’épure du futur

Langue de la louange du ciel et de la mer dont rêva le Prince au pays d’Ur »

Source de la poé­sie per­pé­tuelle dont rêva Orphée plongé dans les Enfers méso­po­ta­miens, Ale­theia revêt les traits d’Eurydice, qu’elle trans­cende cepen­dant car elle doit nous dire « si la nymphe Eury­dice a retrouvé enfin Orphée » et le poète s’adresse à elle en ces termes : « Ô Sou­ve­nir, chant pro­lon­geant le mur­mure d’Orphée à l’oreille d’Eurydice ». Ale­theia est à la fois plus ori­gi­nelle, plu­rielle et éter­nelle. D’emblée elle appa­raît en Vierge et Mère Divine :

« Ale­theia, la Femme enve­lop­pée de soleil, sa tête nim­bée d’étoiles tenant l’Enfant divin posé sur ses genoux

Ale­theia, en l’aube du divin séjour, la longue flamme des­cen­due des cieux […] »

Elle est aussi « l’âme fille d’exil et de mer », voix para­di­siaque enten­due en l’enfance… le « Mys­tère d’Aletheia, seuil de la Rose de lumière » est mythe recréé, uni­ver­sa­lisé et trans­cendé jusqu’à l’implosion de la défi­ni­tion même de mythe : il s’agit bien moins d’écouter un récit fabu­leux que de reve­nir à une vérité spi­ri­tuelle per­due mais de tous temps vivante Har­mo­nie au cœur du Silence.

« Vérité de l’amour dans un corps et une âme, sel de l’Esprit qui se dépose dans la coupe du silence ô beauté lovée dans la soie étoi­lée de la Charité ! »

Georges de Rivas semble avoir fait entiè­re­ment siens ces mots de Rilke dans Notes sur la mélo­die des choses : «[…] tou­jours veille der­rière toi une vaste mélo­die, tis­sée de mille voix, où de temps à autre seule­ment ton solo trouve place. Savoir quand tu dois inter­ve­nir dans le chœur, c’est le secret de ta soli­tude : de même que c’est l’art de la rela­tion véri­table : se lais­ser tom­ber de la hau­teur des mots dans l’unique et com­mune mélo­die », « Nos accom­plis­se­ments se pro­duisent au loin dans des arrières-plans lumi­neux », et encore : « il faut avoir extrait des tumultes gron­dants de la mer le rythme de la vague […] et la ligne vivante qui porte les autres. […] Il faut avoir oublié le mul­tiple pour l’amour de l’essentiel ».

Le recueil, et son pre­mier chant « Ale­theia » dont je traite plus par­ti­cu­liè­re­ment, est com­posé de ver­sets, forme que révèlent paral­lé­lismes et répé­ti­tions (ana­phores, anta­na­clases), des phrases amples avec suc­ces­sion de cadences majeures et mineures évo­quant le rythme de vagues. Quelle musique natu­relle semble la plus à même de repro­duire le silence ? N’est-ce celle des vagues ?
Ces ver­sets aux rythmes océans, aux innom­brables jeux de sono­ri­tés, aux nom­breuses excla­ma­tions, inter­jec­tions « ô » et coor­di­na­tions « et » ne sont pas sans rap­pe­ler ceux de Saint John Perse dans « Pluies », « Neiges », « Vents » qui m’ont pro­fon­dé­ment mar­quée de leur poé­sie incan­ta­toire. Si Perse met à l’honneur des élé­ments natu­rels fins, infimes, ubi­quistes, Georges de Rivas en la « prime-lumière » d’Aletheia invoque expli­ci­te­ment une omni­pré­sence fon­da­men­tale. Paraît s’éveiller, se révé­ler à la lec­ture, un fond d’or sem­blable à celui des pein­tures des pre­miers maîtres ita­liens, une auréole de la réalité.

Par-delà l’harmonie bri­sée, les dés­équi­libres natu­rels et les désastres humains qui pré­ci­pitent l’humanité vers la mort, siège une har­mo­nie retrou­vée, et celle-ci est éle­vée par la parole poé­tique de Georges de Rivas comme un « encens » musi­cal vers le ciel.
Ale­theia est un retour actif-accueillant à la source inépui­sable de la vie et de la grâce où tout se puri­fie et renaît. Ce chant est un bap­tême, un appel à ce que « notre songe pro­longe le Songe de Dieu au-delà des formes et des rites ».

 marine rose

Georges de Rivas, Ale­theia, édi­tions Uni­cité, 2022, 99 p. — 16,00 €.

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