Le Festival d’art lyrique d’Aix– en Provence a fêté ses 75 ans, cette année. Pour marquer cette date anniversaire, le compositeur britannique George Benjamin et Martin Crimp, grand nom du théâtre anglais, ont créé leur quatrième opéra en collaboration : Picture a day like this.
Pour Crimp, l’écriture pour l’opéra n’est pas celle d’un libretto, mot anglais d’origine italienne qui signifie petit livre et que le français traduit par livret, lui préférant celui de « text ». L’histoire d’ailleurs du livret d’opéra mériterait un éclairage particulier.
Le théâtre se fonde sur des réalités matérielles et la musique, elle, introduit des choses immatérielles, selon Crimp. Il serait d’ailleurs tout à fait possible pour Crimp de reprendre son « text » et de le jouer comme œuvre dramatique et littéraire.
Dans Picture a day like this, il revient à une matière de conte, de fable comme dans Into the Little Hill (2006, inspiré par le récit allemand du Rätttenfänger von Hameln).
Il emprunte ici une trame à l’histoire de La chemise d’un homme heureux, ou à un passage du Roman d’Alexandre et et se nourrit d’un texte indien. Le format retenu est celui d’un cadre intimiste. Justement la mise en scène s’installe, dans un petit théâtre à l’italienne (le Jeu de Paume). La distribution est resserrée comme dans un certain nombre de pièces contemporaines : woman, lover 1, lover 2, artisan, composer, composer assistant, collector and Zabelle.
Une mère vient de perdre son enfant et accablée de chagrin, elle entreprend une quête (impossible) pour le ramener à la vie, en allant successivement à la rencontre de personnages prétendument heureux et qui pourraient lui donner un bouton de l’une des manches de leur vêtement, gage de son retour à la vie de tout jeune enfant. Souvenir détourné peut-être d’Alice aux pays des merveilles.
Cinq chanteurs sont les voix de ces sept personnages, incarnant ainsi deux rôles pour certains. L’amant 2 devient l’assistant de la compositrice et l’amante 1, la compositrice tandis que l’artisan revêt le beau costume du collectionneur.
L’argument ainsi progresse selon une succession de rencontres avec des motifs musicaux qui soulignent cette structure. L’orchestre lui-même ( le Mahler Chamber Orchestra) ne compte que peu de musiciens et réunit peu de cordes à la différence des percussions et des bois et cuivres, plus nombreux. Absence aussi d’un large choeur.
Les six premiers tableaux relèvent de la satire sociale comme pourrait le faire une pièce. Les personnages que croise la Femme ont beau se dire au départ « happy », ils dévoilent finalement leurs failles, leurs défauts profonds. Ainsi les deux amants finissent-ils par avouer qu’ils ne sont pas fidèles à l’autre (lover 2) et qu’il est question d’être free and polyamorous aux dépens de sa partenaire. L’artisan de son côté finit par révéler qu’il est junkie, qu’il a été licencié de son usine…
Crimp s’amuse à moquer les attitudes narcissiques d’une compositrice très pressée, qui arpente le monde, escortée de son assistant tandis qu’un collectionneur d’oeuvres d’art énumère tous les tableaux qu’il possède et que son argent peut satisfaire la mère désespérée.
Zabelle, (la seule portant un prénom), dans un jardin merveilleux, fait enfin entrer le surnaturel tout comme l’incroyable vidéo de Hicham Berrada, qui remplace le décor géométrique précédent. C’est d’ailleurs Zabelle qui prononce le titre de l’oeuvre : picture a day like this. Bright sun gives way to long straits of shadow as evening comes.
Il faut donc imaginer cette « journée » qui sert d’unité d’action à l’opéra et passer de la lumière à l’ombre. Du bouton de manche qui brille dans la main de la Femme au noir final sur le plateau.
Ainsi Benjamin et Crimp repensent-ils ainsi l’opéra, le libérant de certaines de ses pesanteurs anciennes car ce qui importe, c’est la poésie des mots simples et de la partition brève et céleste, qui se fondent l’une dans l’autre.
marie du Crest
Les textes de Martin Crimp sont disponibles chez L’Arche éditeur.
L’opéra de George Benjamin a été créé le 5 juillet 2023 et diffusé sur France Musique le 14 juillet 2023.
Opéra en un acte de Sir George Benjamin
Texte de Martin Crimp
Direction musicale Sir George Benjamin
Mise en scène, scénographie, dramaturgie, lumière Daniel Jeanneteau, Marie-Christine Soma
Avec Marianne Crebassa, Cameron Shahbazi, Fatma Said, John Brancy, Anna Prohaska
Costumes Marie La Rocca
Vidéo Hicham Berrada
Assistante à la direction musicale Corinna Niemeyer
Chefs de chant Bretton Brown, Yohan Héreau
Assistante à la mise en scène Sérine Mahfoud
Assistant à la scénographie Théo Jouffroy
Assistante aux costumes Peggy Sturm
Orchestre Mahler Chamber Orchestra
Co-commande et co-production Festival d’Aix-en-Provence, Royal Opera House – Covent Garden, Opéra National du Rhin, Opéra Comique, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Oper Köln, Teatro Di San Carlo
Durée : 1h15
Festival d’Aix-en-Provence 2023
Théâtre du Jeu de Paume
les 5, 8, 11, 12, 14, 15, 17, 22 et 23 juillet