Avec ce nouveau roman, Henri Lœvenbruck change de registre, de personnage principal et d’époque. Foin de Gabriel Joly le journaliste dans le chaudron de la Révolution française, pour donner naissance à une pétulante jeune femme, Lorraine Chapelle, criminologue de vingt-quatre ans.
C’est le 24 octobre 1925 que Lorraine débarque, sous une pluie battante, du SS Courrier sur l’île de Balckmore, venant de Guernesey. Elle est attendue par Arnold, le majordome de sir Ronald Waldon. Elle y est déjà venue, quand elle avait douze ans, avec sa mère décédée récemment. L’hôtel où elle descend a perdu son lustre depuis la Grand Guerre.
C’est au bar, près de la cheminée, qu’elle est abordée par Edward Pierce à qui elle demande s’il est homosexuel. Il acquiesce et se présente comme détective privé. Il vient retrouver le père Pat Molloy. Celui-ci a sollicité sa venue parce que l’île est secouée, depuis quelques mois, par des événements étranges. Il craint pour sa raison, voire pour sa vie.
Lorraine est là à la demande de Sir Waldon. Il a sollicité ses services depuis qu’elle est diplômée en criminologie. Depuis l’été, trois personnes ont disparu. Or la troisième est Margaret, sa petite fille, qui s’est volatilisée le 2 octobre.
Lorraine Chapelle, fine, élégante, la coupe de cheveux à la garçonne, a adopté tous les symboles du combat pour les droits les plus élémentaires des femmes. Elle est la première femme à sortir de l’Institut de criminologie. Elle s’est spécialisée en médecine légale et en psychologie criminelle. Elle est désinhibée et souffre sans doute de la maladie de Pick.
Elle va faire équipe avec un enquêteur originaire de Canterbury qui se présente comme détective de l’étrange. Cette orientation lui est venue lors d’un voyage jusqu’à Constantinople en compagnie du père Molloy.
En s’inspirant d’une île réelle, le romancier crée un lieu à la fois issu de l’imaginaire, intégrant des parts de mystère tout en gardant une certaine réalité. Le choix de la placer près de côtes françaises, d’en faire une partie des îles anglo-normandes, permet de développer une intrigue, dans l’Après Première Guerre mondiale, avec les conséquences que les combats ont eu sur les populations.
L’auteur a révélé, dans une interview, avoir sillonné ces îles pour ancrer un récit flirtant avec le fantastique dans une authenticité.
Avec cette île, il s’autorise un hommage aux littératures dites populaires qui faisaient fureur dans les années 1920, se rapprochant des romans feuilletons qui ont enchanté le XIXe siècle.
Avec ce duo d’enquêteurs dont les méthodes d’investigations différent, Henri Lœvenbruck conçoit une intrigue qui prend en compte le cadre, un certain huis clos imposé par les circonstances, l’époque et la consanguinité, le tout mêlé à de sombres secrets. Ainsi, Lorraine et Pierce vont devoir se confronter à des statues énigmatiques, un culte maléfique et une atmosphère délétère entretenue, entre autres, par la configuration des lieux.
Cette enquête est enrichie par de nombreux apports et par les rapports, souvent divergeant, des détectives qui n’ont pas la même analyse des faits et des événements, ni la même étude des indices.
En postface, l’auteur rend un vibrant hommage à son oncle Pierre, Pierre Lœvenbruck, qui fut également romancier dans les années 1930.
Avec Les Disparus de Blackmore, l’auteur s’ouvre de nouveaux horizons romanesques dont les lecteurs auront un plaisir fou à en suivre les développements.
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serge perraud
Henri Lœvenbruck, Les Disparus de Blackmore, XO Éditions, février 2023, 528 p. — 21,90 €.