Au cœur du système ségrégationniste
Ed Lacy est l’un des pseudonymes de Leonard Zinberg (1911–1968), utilisé pour ses romans policiers. Ce livre, paru en 1957, portait le titre de Room to Swing. Publié la même année aux Presses de la Cité dans la collection Un Mystère, sous le titre À corps et à crimes, il a bénéficié du traitement de l’époque où traduction et adaptation allaient de pair. Des pans entiers de texte étaient écartés, parce qu’ils ne correspondaient pas à l’attente des lecteurs, pour tenir dans le format de la collection. Des ajouts plus ou moins longs étaient intégrés pour tenter de recoller les morceaux.
Le présent roman est une véritable traduction de Roger Martin qui signe, par ailleurs, une belle préface. Le héros, Toussaint Marcus Moore, est un détective afro-américain.
C’est à Bingston, une petite ville du sud de l’Ohio, que débute le récit. Dans cette bourgade, les Noirs sont soumis à la ségrégation et l’irruption de Toussaint passe mal. Après un premier contact rude avec le policier local, il dit vouloir passer deux ou trois jours pour se reposer. Or, au seul l’hôtel, personne n’acceptera jamais de le loger. C’est Sam Davis, le facteur, qui lui propose gîte et couvert.
Après un sommeil de plus de douze heures, il fait la connaissance de France Davis, la fille de la maison. En dînant, il l’interroge sur May Russel, sur Robert Thomas, un criminel en fuite, originaire de la ville et récemment assassiné à New York. Fine mouche, celle-ci perce sa couverture bidon de musicien. Il est contraint de lui faire confiance et lui présente la situation. Il a été piégé, il était sur les lieux quand Thomas a été tué et il est le coupable idéal, risquant la chaise électrique. Il a très peu de temps pour débusquer le coupable…
En mettant en scène un détective noir dans un pays encore ségrégationniste, Ed Lacy brosse une peinture des tensions interraciales, des inégalités sociales, sans négliger un suspense propre à ce domaine littéraire. Ce troisième roman policier de l’auteur décrit sans fioritures la situation des Noirs dans les États-Unis des années 1950.
Après une entrée en matière dans le présent, plantant le décor et le cadre où se trouve le héros, l’auteur propose un long flashback avant un retour au présent pour un final où l’enquêteur ne subit plus les événements mais les maîtrise. Il stigmatise le racisme, la misogynie institutionnalisée, le culte de la virilité et des armes, la corruption et la violence pour la violence.
Il explicite les difficultés rencontrées par ces populations cantonnées dans des zones précises, avec des obligations strictes, où pratiquement tous les lieux leurs sont interdits. En prenant comme décor une bourgade de deux mille âmes, le romancier renforce cet état de fait.
Il montre ce qu’il en est dans ce pays où la loi ne prime pas sur la coutume. Si un Noir est surpris dans un cadre délictueux, il est considéré immédiatement comme le coupable. Et pour cette intrigue, il s’agit d’un meurtre.
Ce livre a été distingué, cette année-là, par le prestigieux Prix Edgar du meilleur roman policier. Ed Lacy signe un récit enlevé, à l’intrigue efficace, éclairant un tableau social au plus près de la réalité.
serge perraud
Ed Lacy, Traquenoir (Room to Swing), traduit de l’anglais (États-Unis) par Roger Martin, Éditions 10/18, coll. “Polar” n° 5862, mai 2023, 240 p. — 8,00 €.