Ettore Molinario, Dialogues #25

Le crâne ou l’amour à mort

En 1649, Oli­ver Crom­well avait condamné le roi Charles Ier à mort par déca­pi­ta­tion. Mais l’expérience du répu­bli­cain échoua et il fut à son tour sou­mis à la potence. De manière étrange tou­te­fois : mort du palu­disme, il fut l’objet du rituel de l’exécution post­hume deux ans plus tard.
Sa tête fut col­lée sur un poteau et expo­sée devant l’abbaye de West­mins­ter, où Charles II avait été pro­clamé roi la même année.

Ce crâne réap­pa­rut 150 ans plus tard chez un chi­rur­gien, qui avait l’habitude de prendre le petit déjeu­ner avec le chef de l’ancien révo­lu­tion­naire. En un mélange d’horreur et d’émerveillement, il fut pré­senté à un aéro­page d’invités.
Et en 1960, le cha­noine Horace Wil­kin­son, des­cen­dant du chi­rur­gien, donna à cette relique, sorte de vani­tas poli­tique, un repos sous le plan­cher de l’antichapelle du Sid­ney Sus­sex Col­lege, à Cambridge.

La même année, mis au cou­rant d’une telle his­toire, David Bai­ley (pho­to­graphe qui ins­pira libre­ment le Blow Up d’Antonioni) signe son pre­mier contrat avec le Vogue bri­tan­nique.
Deve­nant une autre ver­sion de Crom­well, il se sert sinon de son crâne du moins d’un arte­fact dans une de ses pho­tos où Cathe­rine Dyer, man­ne­quin et qua­trième épouse du pho­to­graphe, et l’actrice Angie Hill embrassent pas­sion­né­ment ce crâne.

Son image fas­cine tou­jours car elle sert sou­vent de memento mori et les phi­lo­sophes ne regim­baient pas par­fois à en lais­ser un sur leur table de tra­vail et de réflexion. Chez Bai­ley, le crâne amou­reu­se­ment pressé contre la poi­trine montre que n’existe pas d’antithèse entre nous et les objets.
Il rap­pelle aussi qu’à l’origine de toute nature morte (mais pas seule­ment) existe tout le déses­poir humain car, bien sûr, en nous existe un même crâne voué au même sort.

Quant à Patrick Tosani, archi­tecte et artiste, il raconte une his­toire simi­laire. Il a créé une tête, à la fois chair vivante et pure fic­tion. Et ce, à par­tir d’un pan­ta­lon imbibé de colle, pressé et retourné. Cette tête de Tosani est autant une per­sonne qu’un objet. Il repré­sente le centre de com­man­de­ment bio­lo­gique et sen­so­riel mais simul­ta­né­ment un masque mor­tuaire.
Les deux œuvres habi­le­ment unies dans ce nou­veau “dia­logue” de l’artiste et his­to­rien d’art ita­lien Ettore Moli­na­rio relient la vie et la mort. Le créa­teur et assem­bleur nous invite à regar­der le monde de l’autre monde et para­doxa­le­ment à se déga­ger du macabre.

Indif­fé­rent et énig­ma­tique, le crâne rouge de Tosani comme les bai­sers des deux jeunes Anglaises rap­pelle non sans délice la sinistre devise : « Comme tu es aujourd’hui, tel j’étais, et comme je suis aujourd’hui, ainsi tu seras ».
Dès lors, il se peut que Dieu sauve le roi ou ses assas­sins et ‚démo­cra­ti­que­ment, nous tous aussi et jusqu’aux roses de Ron­sard, bref aux roses bai­lyennes. Et ce, plus de la mort que de l’ “amore”.

jean-paul gavard-perret

Ettore Moli­na­rion, Dia­logues #25, Col­le­zione Ettore Moli­na­rio, Milan, mai 2023.

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