Une note datée du 13 thermidor de l’an II décrit l’état de santé effrayant d’un prisonnier.
Quelques années plus tard un homme d’un certain âge, enseignant à l’école de médecine, se souvient des quelques semaines passées en compagnie de Vidocq, et revient sur l’affaire qui les a réunis.
Celle-ci commence en mars 1818, sous la Restauration. Hector Carpentier vit avec sa mère qui tient pension pour les faire subsister. Sa vie est régie par des habitudes. Mais le mécanisme se détraque quand le mendiant, qui se tient habituellement près de son domicile, le suit et rentre derrière lui. Hector voit un homme se transformer, se redresser, grandir pour devenir… Vidocq. Celui-ci l’interroge sur ses relations avec Chrétien Leblanc. Devant son air ahuri, il lui apprend que cet homme a été torturé, assassiné, à quelques rues d’ici et qu’il portait, sous son caleçon, son nom et son adresse. Vidocq a vérifié, il n’y a pas, à Paris, d’autres docteur Hector Carpentier.
L’ancien bagnard l’entraîne alors dans son enquête, à la fois comme suspect, témoin et assistant. Les informations, les indices qu’ils recueillent les amènent à s’intéresser à Louis-Charles, le fils de Louis XVI, détenu et mort dans la prison du Temple. Le docteur Carpentier serait le seul capable d’identifier celui qui, aujourd’hui, est le roi légitime. Mais Hector, à l’époque, n’avait que deux ans.
Vidocq apprend que le père d’Hector portait le même prénom que son fils, qu’il avait été le chirurgien du Dauphin et que, pour l’aider à soigner l’enfant qui avait vécu dans la misère la plus noire en prison, il avait reçu l’aide d’un tapissier de métier qui s’appelait Chrétien Leblanc ! Or, une rumeur de plus en plus insistante fait état d’un retour de Louis-Charles, car une petite cabale royaliste aurait réussi à le sauver, laissant un autre enfant mourir à sa place…
Louis Bayard s’est déjà emparé du personnage d’Edgar Allan Poe pour en faire un enquêteur dans Un œil bleu pâle (le cherche midi — 2023). Dans le présent roman, c’est Vidocq qu’il confronte à l’une de ces nombreuses énigmes historiques qui restent inexpliquées. Ce n’est pas la première fois que ce personnage, nommément ou masqué, est le héros de romans, sa vie tumultueuse a de quoi nourrir l’imagination de créateurs.
Louis Bayard en fait une sorte de surhomme, un héros omniprésent, maître dans l’art du déguisement. Il rappelle Arsène Lupin, avec moins de classe et d’élégance. Face à cet homme au passé sombre, qui connaît bien les bas-fonds de Paris et la faune qui y grouille, l’auteur anime un homme de vingt-six ans qui menait une existence tranquille et rangée. Celui-ci se retrouve projeté dans une affaire dont il ne comprend rien, si ce n’est le danger très présent.
L’auteur introduit beaucoup d’humour par le décalage entre les personnages, leurs caractères et leurs actions. Les réflexions des héros, suscitées par nombre de situations, donnent des dialogues savoureux par un jeu habile de ping-pong.
Autour de cette trame, l’auteur multiple les apports, nourrit son récit avec de multiples rebondissements, certains faisant référence à un lointain passé. La tour du Temple, où est enfermé le Dauphin, a été construite il y a plus de cinq siècles par les Templiers. Le tueur mystérieux qui est responsable de l’assassinat de Chrétien Leblanc, continue sa sinistre besogne. Tous ces éléments croisés donnent une intrigue charnue au déroulement tendu et à l’attrait indéniable. On n’arrête pas facilement la lecture, d’autant que le découpage en courts chapitres est une invitation supplémentaire à tourner les pages.
Vidocq et l’énigme du temple se révèle un roman bien construit, avec tous les ingrédients pour un très bon récit, qui tient en haleine son lecteur.
serge perraud
Louis Bayard, Vidocq et l’énigme du temple (The Black Tower), traduit de l’Anglais (États-Unis) par Jean-Luc Piningre, le cherche midi, mai 2023, 496 p. — 19,95 €.