Alors que quelques mois auparavant le romancier avait lu Antithérapie, le livre d’Arthur Collins Braithwaite, il reçoit un e-mail d’un certain Martin Grey en possession de cahiers écrits par sa cousine. Celle-ci, persuadée que ce psychiatre a mené Veronica, sa sœur, au suicide, raconte ses séances vécues sous un faux nom, Rebecca Smyth, avec ce thérapeute.
Ce dernier a œuvré dans les années 1960 pour une autre approche de ce mode de soins. Troublé par cette coïncidence, le romancier fouille, se documente et finit par se convaincre de pas être victime d’une supercherie et de publier ces cahiers complétés de ses propres recherches.
C’est le récit de ce jeu, aussi pervers que passionnant, à l’issue incertaine, que l’auteur propose entre un homme imbu de lui-même et une jeune femme qui veut approcher la vérité. Comment et par quels artifices, ce psychiatre a pu mener une jeune femme brillante, à l’avenir prometteur, à se jeter depuis un pont routier au moment où arrive le train de 16 heures 45 pour High Barnet ?
Les séances de thérapie sont tendues et mettent à mal la ténacité de Rebecca qui arbore un personnage de jeune femme solide tout en présentant, elle-même, des failles. Arthur peut-il détecter les véritables raisons de sa patiente…
À la fois thriller psychologique, biographie chimérique, ce livre présente de façon originale la vie d’un psychothérapeute en opposition avec la doctrine officielle. Il fait de son analyste un contemporain de Ronald Laing qui, personnage authentique, fut l’un des piliers d’un mouvement condamnant la pratique de la psychiatrie sous ses formes institutionnelles et médicales.
Graeme Macrae Burnet, cet auteur écossais, aime jouer avec ses lecteurs. Tour à tour traducteur, parent éloigné, voire auteur-chercheur, il présente ses livres comme l’œuvre de quelqu’un d’autre, qu’il complète comme dans le cas présent, de ses propres recherches. Or, il s’agit d’un récit de fiction totalement dû à son imagination fertile. Et il réussit une histoire pleine de suspense, audacieuse, troublante mais superbement humoristique au second degré.
Le roman alterne entre les cinq cahiers envoyés par son correspondant dont le contenu relate les méthodes du psychothérapeute et les données biographiques rassemblées par l’auteur lors de recherches, d’entretiens. À travers le personnage de Braithwaite, il dresse un portrait peu flatteur des psychiatres en faisant décrire, par exemple, la manière d’aborder le travail : “Le (“soi-disant”) travail du psychothérapeute était le plus facile du monde.“
Mais c’est aussi le thème de l’identité qui est abordé. L’auteur jongle avec ce concept et celui de vérité d’une manière si ludique qu’il mène un jeu d’ombres littéraire magistral.
Avec ce roman virevoltant, à la construction peu commune, Graeme Macrae Burnet propose un thriller et une biographie plus vraie que nature et interroge sur la personnalité, à travers ses acteurs, et ses fêlures.
serge perraud
Graeme Macrae Burnet, Une patiente (Case Study), traduit de l’anglais (Écosse) par Julie Sibony, Éditions 10/18, coll. “Polar”, février 2023, 360 p. — 8,90 €.