Sophie Marvaud, Les Lionnes de Chauvet

Une remar­quable recons­ti­tu­tion d’une époque bien lointaine

Après Le Choc de Car­nac où trois femmes se mobi­lisent pour empê­cher une guerre, La Cha­mane de Las­caux où un meurtre remet en cause l’harmonie d’un clan, Sophie Mar­vaud remonte encore dans le temps pour explo­rer les effets de deux bouleversements.

Une nuit d’hiver, Yoalna se réveille et constate que Tizia, sa mère, et Naë­lisse, sa presque-mère, ne sont plus sous leurs peaux d’ours, dans la tente. Elle pense qu’elles sont par­ties peindre dans la grotte sacrée. Elle ne peut aller les retrou­ver car la tem­pête fait rage et ce, pen­dant cinq jours. Yoalna se remé­more leur his­toire telle qu’elles la lui ont racon­tée.
Tizia et Naë­lisse fai­saient par­tie de la famille des Bou­que­tins, des Néan­der­ta­liens. Le clan ren­contre un groupe de Sur­pre­nants, des Homo sapiens. Les contacts sont cor­diaux et ils coha­bitent quelques temps.

Au moment de se sépa­rer, Tigo et Kos­sof, deux Sur­pre­nants, veulent que les deux sœurs, deve­nues femmes, deviennent leur com­pagne. Chez les Bou­que­tins, Epaules-de-Roc, le frère de Tizia, cherche une nou­velle com­pagne, la pré­cé­dente étant morte en couches. Outre la bar­rière de la langue, les com­por­te­ments sont dif­fé­rents, mais le mar­ché finit par se conclure.
Après quelques sai­sons, Tigo et Kos­sof veulent les échan­ger. Tizia est révol­tée et elle quitte le groupe, vite rejointe par Naë­lisse. Elles fondent le clan des Lionnes.
Quand Yoalna peut enfin par­tir à leur recherche elle les trouve sous une mince couche de glace, allon­gées, tour­nées l’une vers l’autre, le poi­gnard de l’une planté dans la gorge de l’autre et vice-versa. Pour tout le monde, elles se sont entre­tuées, une ver­sion qui ne plaît pas à leur fille qui va alors…

Après avoir situé son pre­mier récit à moins 4 700 ans, le second à moins 15 000, l’auteure ins­talle son intrigue entre moins 35 000 et 40 000 ans, au moment où se pro­duisent deux évé­ne­ments extra­or­di­naires.
Pour la pre­mière fois, des humains ont des­siné et peint sur des parois de grottes. Deux espèces humaines ont coha­bité sur un même ter­ri­toire. Les Néan­der­tha­liens dont la pré­sence est attes­tée depuis moins 430 000 ont côtoyé des Homo sapiens et un métis­sage s’est pro­duit, attesté au Proche-Orient. Et les pre­miers ont dis­pa­rus lais­sant place à l’Homme moderne.

Prenant en compte ces cir­cons­tances, la roman­cière conçoit une his­toire qui ouvre des hori­zons et pro­pose des hypo­thèses cohé­rentes tout en déve­lop­pant une intrigue sub­tile quant à la mort des deux héroïnes.
Paral­lè­le­ment, Sophie Mar­vaud aborde nombre de ques­tions et donne à lire un récit pas­sion­nant sur le mode d’existence des humains de l’époque. Elle raconte le par­cours de ses héroïnes, l’existence au sien des groupes, les rela­tions qui se nouent. Elle expli­cite le rôle impor­tant accordé aux Esprits, ceux-ci étant l’explication de tous les phé­no­mènes incom­pris des popu­la­tions, qu’ils soient une néfastes ou bien­fai­sants. Elle décrit les cha­manes, ces prêtres soi-disant en contact avec les esprits, ceux qui soi­gnaient et ceux qui pro­fi­taient de leur posi­tion domi­nante.
Elle explore des hypo­thèses quant à l’impossibilité de trans­mis­sion de la vie des Néan­der­tha­liens vers les femmes Sapiens, alors que l’inverse était, semble-t-il, pos­sible. Ceci expli­que­rait leur disparition.

La roman­cière s’appuie sur les pein­tures de la grotte Chau­vet, en Ardèche, pour struc­tu­rer son récit, son ima­gi­na­tion titillée par la pré­do­mi­nance d’animaux dan­ge­reux et par la signi­fi­ca­tion énig­ma­tique d’un bison pen­ché sur un sexe fémi­nin.
De nou­veau, Sophie Mar­vaud fait revivre avec vir­tuo­sité, avec un art du récit qu’il faut saluer, une époque bien loin­taine, encore mys­té­rieuse au possible.

serge per­raud

Sophie Mar­vaud, Les Lionnes de Chau­vet, Édi­tions 10/18, coll. “Polar”, mars 2023, 288 p. — 15,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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