Les phrases ici fixées ne sont que des reprises — elles-mêmes provisoires. Elles s’essaient une nouvelle fois, font ce qu’elles peuvent. Mais les reprendre expose à un surcroît de doutes. Même si certaines sonnent comme un avertissement réitéré : rien n’est à laisser flotter comme ça, c’est trop réel.
Toutefois reste alors à savoir ce que veut dire ce mot. Mais quel autre nom lui donner ? Tout le monde le répète. Néanmoins, comment l’a-t-on u car aucun mot ne possède une carte d’identité n’en déplaise aux philologues et leurs domestications. Personne n’en connaît le père, la mère, voire sa femme ou ses enfants.
J’aurais préféré trouver un autre nom car celui-ci cache bien d’inévitables écarts ou ruptures avec ce qui est. Mais ses emprises — toutes quoique inégalement brutales — tentent bien sûr de définir un espace commun.
Tout concept est en effet un récipient mental, fondé sur une volonté de connaissance et qui est censé procéder de la raison. Le monde est donc tamisé et rangé. Le concept est donc en guerre contre les marges de celui-là en battant le rappel contre ses impasses. Mais le réel reste hors de tout mot car celui-ci est un tue-l’amour. Le premier dort dans le second sauf chez les poètes d’exception où il trouve une disposition fusionnelle et parfume notre porosité au monde.
C’est alors que nous rentrons dans le réel comme dans un moulin tout en ébrouant notre identité et en nous familiarisant avec ce qui échappe. A l’homme, animal doué de raison, se substitue l’être poétique, doué de rythme, devenant lui-même musique au fur et à mesure que la raison en devient le vassal.
Le mot devient le mouvement de la conscience, happant au passage le temps. Il forme l’enclave autour de la conscience à l’intérieur du temps, la façonne en flambeau en sa pointe extrême d’hallucination sonore. C’est comme si un Dieu élu devenait le seul musicien en soi et locataire du temps.
Si bien que beaucoup cherchent avec lui une cohabitation harmonieuse. Faute de mieux. Et ce, à l’exception de ceux qui, purs instruments, ne peuvent s’appartenir qu’en se dépossédant, enclins à toutes les épidémies d’extase et ignorant les vaccins de la raison. Cela prend du temps mais rend à ce dernier une braise.
jean-paul gavard-perret
photo de Roy Anderson