Un brillant hommage à une époque disparue
Avec cette histoire qui met en scène délinquants et criminels, Matz, fait revivre une certaine littérature qui a connu ses beaux jours dans les années 1950–60. Le fondateur du genre, Albert Simonin, publiait à la Série Noire des romans où ce type de protagonistes assurait le premier rôle. Il nourrissait ses livres d’un argot bien fleuri. Certes, ce langage a disparu et on peut imaginer que des jeunes lecteurs aient quelques difficultés avec ce vocabulaire même si un glossaire très détaillé complète l’album.
Mais, pour les autres, quel plaisir de retrouver cette ambiance, ces affreux plus ou moins rangés des voitures et rattrapés par leur passé, un thème qui fait encore les beaux jours de films et romans.
En juin 1967, Robert Turpin, dit Bébert-la-Gambille, sort de la prison de la Santé. Son dernier fric-frac avait mal tourné. Il bénéficie d’une libération anticipée. Mais, comme il avait été arrêté deux jours plus tard, il est persuadé d’avoir été dénoncé et veut se venger de celui qu’il pense responsable : Jo.
Un mois plus tard, Jo fait appel à ses amis, Toine-les-Gailles et Grizzli. Il a reçu une visite de Bébert qui ne s’est pas bien passée. Il y a de la menace sévère dans l’air car, en plus, il l’accuse de lui avoir volé son butin, le fruit du cambriolage jamais retrouvé.
Et, quand un ami est dans le besoin, il faut l’aider. Or, Bébert est un méchant qui fait équipe avec deux violents…
Ce récit est un bel hommage à une époque et à une ribambelle d’auteurs, romanciers comme cinéastes : Léo Malet, Frédéric Dard/San-Antonio, Michel Audiard, Jean-Pierre Melville… Mais Matz ne livre pas un éloge de la pègre, un panégyrique des voyous et criminels. C’est une peinture crue d’une catégorie, d’un monde âpre et triste, sans illusions. Matz ne veut pas exalter quelque romantisme désuet mais restituer l’atmosphère d’une période où on mangeait beaucoup, où le costume-cravate-chapeau était de mise, où on disposait de matériels fabriqués en France.
Il propose des dialogues truculents et des récitatifs copieux très explicatifs.
Et Fred Simon, qui assure dessin et couleur, met en images avec une belle réussite, cette ambiance, installant des personnages plus vrais que nature avec des traits légers, fins, assurés, laissant à la couleur, des teintes essentiellement pastels le soin de faire visualiser les perspectives. Il faut saluer le gros travail de documentation pour garnir les rues de Paname des modèles de véhicules existants, de faire ressortir les extérieurs de la ville.
Un bel album que l’on a grand plaisir à découvrir en souhaitant, avec le couple d’auteurs, une suite bien venue pour ces personnages.
serge perraud
Matz (scénario) & Fred Simon (dessin et couleur), Grizzli — t.01 : Un drôle de chabanais, Dargaud, mars 2023, 64 p. — 16,00 €.