Thierry Smolderen & Dominique Bertail, Ghost Money — t. 4 : “La Prisonnière tashkite”

Une série ultra-contemporaine

Tout a com­mencé en 2005 quand Ken­dricks et ses mer­ce­naires s’emparent du ban­quier d’Al-Qaïda, mais qui meurt lors d’un inter­ro­ga­toire mus­clé. En 2020, à Londres, Lind­sey, une jeune fille, se lie d’amitié avec Chamza Azi­ma­tova, la fille richis­sime du pré­sident de la Répu­blique tash­kite, qui est très proche du poète Umar, soup­çonné d’être un ter­ro­riste, par les Amé­ri­cains. Ceux-ci décident, lors d’une inter­ven­tion chi­rur­gi­cale sur les yeux de Chamza, à Shan­ghai, de lui faire gref­fer des micros-caméras. Une vague d’attentats d’une rare vio­lence secoue le monde. Des Amé­ri­cains récu­pèrent une valise ayant appar­tenu à la mère de Chamza. Un film montre cette der­nière en tendre com­pa­gnie avec le ban­quier d’Al-Qaïda. Cette for­tune aurait-elle des liens avec les atten­tats du 11 sep­tembre ?
Chamza doit tout savoir de l’origine de sa for­tune le jour de ses vingt-huit ans. Le pré­sident, qui se rap­proche des Amé­ri­cains, est informé du contenu du film et nour­rit des soup­çons. Il demande à Chamza de ren­trer au pays, avec la valise. Son garde du corps est per­suadé qu’ils font une grave erreur.

Le qua­trième tome débute quand Chamza est emme­née dans un sinistre orphe­li­nat, comme pri­son­nière, par Madame Lee, le bras droit de son père. Débute pour elle un enfer. Elle est avi­lie, for­cée à exé­cu­ter des cor­vées rebu­tantes. Pen­dant ce temps, des séna­teurs tentent de convaincre Azi­ma­tov de livrer Umar, qui a donné un rendez-vous énig­ma­tique à sa fille. Il apprend aussi que cette der­nière a versé une forte somme sur un compte du poète, et qu’elle devient, ainsi, com­plice d’un ter­ro­riste.
Quelques jours plus tard, à Londres, Lind­sey est contac­tée par un mys­té­rieux cor­res­pon­dant qui lui envoie un man­ne­quin élec­tro­nique télé­guidé. Il veut aider Chamza et lui demande de le rejoindre à Shan­ghai. Là, elle découvre un jeune homme en fau­teuil rou­lant qui sait tout de Chamza, ayant, lui aussi, accès aux camé­ras de ses yeux.
Mais, alors que les Amé­ri­cains mettent en place un piège pour s’emparer d’Uman, Chamza doit lut­ter pour sa vie…

Dans ce nou­vel opus, le scé­na­riste ouvre un nou­veau volet riche en rebon­dis­se­ments et en révé­la­tions, appor­tant des réponses aux nom­breuses ques­tions semées au fil des albums. Thierry Smol­de­ren, avec cette série très contem­po­raine, crée un récit riche en faits socié­taux, dense en actions, avec une forte pro­pen­sion à col­ler à l’actualité. Mais pas cette actua­lité léni­fiée qui fait les titres des jour­naux télé­vi­sés, celle qui gou­verne le monde, en silence, dans la plus totale dis­cré­tion, connue de quelques ini­tiés. Il nour­rit son récit de faits authen­tiques qu’il amal­game, à sa manière, dans son intrigue, posant, de fait, des ques­tions fon­da­men­tales, appor­tant des réponses par­tielles. D’où viennent les masses énormes d’argent qui financent le ter­ro­risme ? Qui en sont les ban­quiers ? Les four­nis­seurs ? Quels réseaux empruntent-elles ? Com­ment gra­vitent ces grou­pus­cules ter­ro­ristes et ces cel­lules occultes que génèrent les États, ces mou­ve­ments sans contrôle réel ?
Il inter­pelle éga­le­ment sur les dépenses déme­su­rées des can­di­dats aux élec­tions de toutes natures. Quand on mesure les sommes colos­sales employées, on ne peut que s’interroger sur leur pro­ve­nance. Les coti­sa­tions, les dons des adhé­rents semblent, dans ces fleuves d’argent, de bien faibles ruis­seaux. Smol­de­ren déve­loppe des thèmes sem­blant rele­ver de la Science-Fiction, mais qui deviennent, depuis le début de la série en 2008, de plus en plus proches de la réa­lité. Il met­tait en, avant, entre autres, la rapi­dité de la com­mu­ni­ca­tion, l’instantanéité du trans­fert de données…

On retrouve le séquen­ce­ment et la mul­ti­pli­ca­tion des inter­ve­nants, mais tou­jours faci­le­ment iden­ti­fiables dans les dif­fé­rentes époques et les dif­fé­rents lieux, grâce à la superbe mise en images de Domi­nique Ber­tail. Celui-ci joue, avec maes­tria, de toutes les pos­si­bi­li­tés offertes par le des­sin et de la réelle maî­trise de son art. Il fait vire­vol­ter le regard du lec­teur, l’entraîne dans un par­cours guidé par des cadrages pré­cis, un décou­page dense, où l’on retrouve le rythme des meilleures séries télé­vi­sées.
Ghost Money est une de ces bandes des­si­nées qui marquent une époque, la pierre angu­laire d’une évo­lu­tion du Neu­vième art.

serge per­raud

Thierry Smol­de­ren (scé­na­rio), Domi­nique Ber­tail (des­sin et cou­leur), Ghost Money, tome 4 : « La Pri­son­nière tash­kite », Dar­gaud, juin 2013, 60 p. – 13,99 €.

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