Où naissent les mères est le premier roman de Virginia Helbling, (née à Lugano en 1974, études de lettres et de philosophie à l’université de Fribourg, journaliste, première lauréate du prix Studer/Ganz en 2015).
L’opprobre augustinien, [Inter faeces et urinam nascimur -Nous naissons entre les excréments et l’urine], se perçoit dans le récit de la narratrice, déchirée au moment de l’effort de l’accouchement, durement éprouvée car sacrifiant quelque chose d’elle-même, de sa chair.
La parturiente se trouve dans un état paroxystique, à la fois épuisée, dégoûtée, furieuse et douloureuse. La relation entre la mère et sa nouvelle-née est spéculaire, reflet d’une image de la mort — mort des aïeules — et de la vie — filiation qui se perpétue : « Avec ma fille, je suis née un peu moi aussi ».
Ainsi, la nouvelle venue au monde est ressentie comme une sorte de double, d’image dupliquée, arrivant des limbes, du néant, de l’inconnu et pourtant formant une continuité, un embryon féminin.
La jeune mère se manifeste juste après la parturition : « J’ai eu des rêves pénibles, manigances tordues, chatons étranglés ou empoisonnés à l’insecticide ». Accoucher, c’est subir la nature dans sa rudesse ; allaiter, c’est donner de soi, ce qui induit un maternage de proximité.
Le fœtus s’est sustenté des entrailles maternelles, et hors du ventre, mordille les seins durant la succion de l’allaitement, les blessant parfois. La narratrice observe et rend compte de toutes les étapes de la relation fusionnelle mère/enfant et de sa proximité (troublante) avec l’animalité et avec un supposé “instinct de reproduction”.
Un objet morbide agite les pensées de la mère débutante, entre arrachement et ensevelissement du moi, une espèce de dépression post-partum, qui se manifeste par du découragement, une perte de confiance en soi, l’impression de ne pas être une bonne mère, la culpabilité, l’anxiété, l’irascibilité et l’épuisement : « Les jours passent, rythmés par les besoins physiologiques de ma fille ».
Cette jeune mère et pianiste souffre de l’abandon de la musique, ainsi que de celui du compagnon, violoniste, qui enchaîne les concerts.
C’est l’humanité renvoyée à la caverne, à ses tréfonds, à un temps binaire ; notons que Virginia Helbling est philosophe. Certaines scènes ne sont pas sans rappeler celles de Nathalie Granger de Marguerite Duras, par exemple le quotidien monotone, l’ordinaire des réactions familiales autour de la natalité, « une stagnation ».
La pénibilité des soins répétitifs donnés au nourrisson, la servitude et les corvées domestiques, l’incommunicabilité avec le conjoint et l’entourage se mêlent à des sensations de tensions, des visions et des troubles du comportement. Le couple est mis à nu, gratté jusqu’à l’os.
Il y a aussi un hymne à la nature, à tout ce qui se meut, exsude, pourrit et renaît ; une expérience quasi mystique d’une accouchée d’elle-même : « Maintenant, mon vol est celui d’un aigle, un rapace qui glatit, plane et caresse l’air, les ailes déployées ».
Le cri primal jaillit, trop longtemps réprimé : « J’attends la prochaine chanson en poussant un grognement (…) La bête rugit et plus elle bouge, plus elle devient agressive. (…) je hurlerai jusqu’à perdre ma voix (…) ».
Dans les Métamorphoses, Ovide a recours à une série de figures communes, d’humaines et d’humains transformés en arbres, en animaux, en flore. Et ici, la mère de la petite Héléna — la fille de cette musicienne sans nom -, subit une métamorphose reliée à une généalogie mythique et archaïque d’héroïnes — une mutation.
En effet, la jeune femme se transmue, s’auto-modifie et ce, à partir d’un amour exclusif.
yasmina mahdi
Virginia Helbling, Où naissent les mères, trad. de l’italien (Suisse) par Lucie Tardin, éd. Des femmes - Antoinette Fouque, parution 23 mars 2023, 192 pages, 15 €